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homme d’état lui fit un jour, de produire trop, elle sait depuis longtemps déjà qu’en développant les cultures fourragères et multipliant les bestiaux, elle parvient à augmenter la profondeur et la puissance du sol. Elle s’ingénie à chercher les procédés capables d’atteindre plus sûrement et plus rapidement ce double but. Au premier rang, parmi ces importantes innovations, se présentent les industries manufacturières annexées aux exploitations rurales.

Une des plus récentes et des plus remarquables industries de ce genre s’est développée dans des circonstances exceptionnelles qui ajoutent encore à l’intérêt qu’en tout temps elle eût inspiré. Depuis plusieurs années, la nourriture destinée aux animaux des fermes s’était considérablement amoindrie, soit directement, en raison du déficit sur la production des fourrages et des céréales, soit indirectement, par suite des affections spéciales qui attaquaient avec une intensité singulière les vignobles et les champs de pommes de terre. Non-seulement les résidus de la distillation des marcs de raisin employés naguère en larges proportions dans le midi pour l’alimentation des moutons manquaient presque entièrement, mais encore les drêches, autres résidus nutritifs de la saccharification et de la distillation des grains, faisaient également défaut, car cette dernière opération venait d’être prohibée en France. On voulait réserver pour la nourriture des hommes les céréales distillées autrefois. La distillation des pommes de terre elles-mêmes était devenue l’objet d’une semblable prohibition, inspirée par les mêmes vues prévoyantes.

Ces diverses sources de la fabrication des eaux-de-vie et de l’alcool et d’autres encore étaient taries à la fois ou considérablement diminuées. Un grand fait individuel sans précédens surgit tout à coup de cette nécessité commerciale ; on vit près de la moitié des sucreries indigènes, mettant à profit les données de la science et les observations de M. Dubrunfaut[1], se transformer en distilleries de betteraves, et verser en une année dans les magasins du commerce environ vingt millions de litres d’alcool, réalisant ainsi d’énormes bénéfices, car le prix normal, de 50 ou 60 francs l’hectolitre, était monté à 220 francs[2] .

Mais, il faut le dire, ces distilleries d’un nouveau genre succédant à des sucreries enlevaient à la production nationale 40 millions de sucre[3], et n’ajoutaient rien par leurs résidus à la nourriture

  1. A l’occasion de l’exposition universelle, la grande médaille d’honneur a été décernée à M. Dubrunfaut, comme ayant coopéré par ses publications à ces grandes applications industrielles.
  2. Un des principaux manufacturiers, transformant ses fabriques de sucre en distilleries, parvint à réaliser un bénéfice journalier de 10,000 fr. !
  3. Cette diminution dans la production du sucre est sans doute une des causes de rélévation actuelle du cours ; mais dans l’année qui vient de commencer la fabrication sucriers, devenue plus active, compensera probablement en grande partie le déficit.