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perfection ; il faut montrer quel est l’éclat de l’or, quelle est la douceur de l’ivoire, comment leur alliance est possible, combien elle est harmonieuse ; il faut prouver que le bronze n’est pas plus favorable aux ondulations des draperies, que le marbre ne rend pas avec plus de vraisemblance les tons chauds et la fermeté des chairs, que les yeux mornes de nos statues ne sont point préférables aux pierres transparentes d’où semble rayonner la vie, que la couleur n’est point interdite à la sculpture, ainsi que le veulent nos théories abstraites, mais que la peinture, soumise à d’idéales conventions, peut concourir à un effet plus complet ; il faut enfin, par une expérience décisive, forcer nos sens à des émotions inconnues et notre jugement à des formules moins étroites. Là est l’intérêt suprême, la lutte, le danger, là est le digne emploi d’une munificence princière ; Phidias est déjà bien loin, ou plutôt il ne fait que prêter aux novateurs le patronage de son grand nom et l’autorité des textes.

Est-ce dans cet esprit que l’artiste chargé de restituer la Minerve d’or et d’ivoire a conçu son œuvre ? Hélas ! non. Il a été érudit plutôt qu’artiste : il s’est efforcé de construire une idole, rien qu’une idole, et il a maintenu, autant que cela était possible, les traditions de la sculpture monochrome ; sa conviction bu sa prudence a résisté aux inspirations de M. de Luynes, qui lui disait jusqu’où l’archéologie avait poussé ses conquêtes et jusqu’où l’art pouvait pousser l’audace. Le problème, tel que je viens de le poser, a deux faces, l’une qui regarde l’avenir, l’autre qui regarde le passé. M. Simart l’a tourné vers le passé, c’est-à-dire vers les difficultés insolubles. Il a tenté de refaire Phidias et il a renoncé à devenir le représentant des idées nouvelles, à frapper les imaginations, à heurter même le goût et à soulever les tempêtes dont le retentissement s’appelle la popularité. Me pardonnera-t-on une comparaison que notre époque a rendue familière ? M. Simart est un conservateur que l’on charge d’une révolution : peut-être la révolution se fera-t-elle, mais à son insu, tant il en est innocemment complice.

Avant d’entrer dans la véritable question, il convient de se placer au point de vue que l’auteur de la Minerve a choisi. L’intérêt général de l’art a été sacrifié : on ne nous présente plus qu’une restauration scientifique. Oublions, pour y revenir plus tard, la sculpture polychrome, et voyons d’abord comment le statuaire moderne a fait revivre Phidias.


I.

J’ai entendu beaucoup de personnes critiquer les proportions réduites de la statue de M. Simart. La Minerve de Phidias avait vingt-six coudées de hauteur, c’est-à-dire environ trente-sept pieds. — Espérez-vous, disait-on, qu’une figure cinq ou six fois plus petite produira le