Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/545

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Même en acceptant ces définitions, il me paraît évident que ces deux modes d’investigation se complètent l’un par l’autre. Les recherches statistiques accomplies par les agens de l’autorité publique ont sans aucun doute leurs chances d’erreur ; les enquêtes directes faites par des observateurs isolés ont les leurs aussi. Ce n’est pas trop de la réunion des deux moyens pour arriver à la connaissance même approximative de la vérité. Il est bon surtout que les statistiques générales servent de contrôle aux observations personnelles, sinon on risque de s’égarer à la poursuite de chimères, ou de découvrir avec beaucoup de peine ce que d’autres avaient découvert auparavant. Il s’en faut d’ailleurs que tout soit également vrai dans ce que M. Le Play dit des statistiques officielles. Sans doute il arrive quelquefois que les statisticiens soient obligés de grouper, pour en tirer certaines conséquences, des chiffres recueillis pour un autre objet ; mais ces études, qui ont leur utilité, n’ont qu’un crédit proportionné au degré de probabilité qu’elles présentent. Tout ce qu’on peut conclure, c’est qu’il faut engager les gouvernemens à les faire eux-mêmes, et c’est en effet ce que font déjà quelques-uns.

En ce qui concerne la France, la Belgique et à beaucoup d’égards l’Angleterre, les statisticiens ne sont pas réduits à des inductions pour apprécier le développement de l’agriculture, de l’industrie et du commerce. Des recherches très directes sur ces trois ordres de faits ont été entreprises par ces trois gouvernemens. On peut dire qu’elles pèchent par quelques côtés, et indiquer les moyens de les perfectionner ; on ne peut pas nier qu’elles n’existent, qu’elles ne soient même poussées quelquefois jusqu’à l’excès. Il n’est pas exact non plus que les renseignemens dont elles se composent soient puisés ailleurs qu’aux sources mêmes de l’observation. Toute recherche statistique se fait au moyen d’enquêtes locales, dans les formes qui paraissent les plus propres à faire connaître la vérité ; ces renseignemens sont ensuite réunis, coordonnés de manière à présenter des tableaux généraux, mais le point de départ est une collection de monographies. Il a été constaté que cent mille personnes avaient pris part en France à la grande enquête agricole de 1840 ; celle qui vient de s’accomplir, et dont nous ne connaissons pas encore les résultats, aura probablement recueilli encore plus de témoignages.

Je ne puis donc admettre que M. Le Play ait fait aucune révolution dans la méthode suivie avant lui ; il a enrichi la science de trente-six nouvelles monographies, recueillies avec beaucoup de peine et de soin ; voilà son mérite, il est assez grand. Je ne puis lui en reconnaître d’autre. Il n’a pas plus inventé la forme que l’idée première. Nous trouvons dans une foule de documens ce qu’il appelle le budget de l’ouvrier, c’est-à-dire l’indication des recettes et des dépenses annuelles d’une famille. M. Ducpétiaux, avec des