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toute la mission du Kiang-nan, peuplée de 50 millions d’habitans.

Le chiffre de l’effectif catholique est donc encore bien modeste ; mais si on considère que la mission est à peine entrée dans la période militante, les premières années ayant été nécessairement consacrées au travail d’organisation, si l’on se rend compte des obstacles de toute espèce que les jésuites ont rencontrés à leur début sur un terrain nouveau pour eux, si enfin il est avéré que les 72 000 chrétiens sont solidement acquis à l’église, on demeurera convaincu que la mission n’a pas été stérile. Ces résultats sont dus non-seulement à une administration intelligente et libérale, mais encore à l’infatigable charité dont les prêtres européens ont fait preuve pendant les famines de 1849 et 1850. Ces famines furent terribles. Les débordemens du fleuve Yang-tse-kiang et des nombreux canaux qui sillonnent l’intérieur de la province inondèrent une vaste étendue de pays ; les récoltes de riz furent perdues ; dans certains districts, la population se vit obligée d’émigrer sur des barques. La faim et la peste enlevèrent, sur tous les points, des milliers de victimes. Nous ne pouvons plus, grâce à Dieu, dans nos contrées d’Europe, nous faire une idée des ravages causés par une famine. Les nations asiatiques, l’Inde, la Chine, connaissent encore ce genre de fléau, qui décime presque périodiquement, comme si c’était par une loi de la Providence, les rangs trop pressés de leurs populations. Le père Broullion retrace l’affreux spectacle que présentèrent, à la suite des inondations de 1849, les villes et les campagnes du Kiang-nan. En présence de cette calamité, les missionnaires ne faillirent pas à leur devoir ; par leurs soins, des secours furent organisés dans les districts voisins du siège de la mission. On distribua à Zi-ka-wei quatre mille rations de riz par jour. Païens et chrétiens étaient assistés sans distinction ; les jésuites se gardèrent bien de dénaturer cet acte de pure charité par une propagande intempestive, et de vendre leur obole contre une conversion arrachée à la misère. On faisait, il y a deux siècles, beaucoup de chrétiens de cette espèce ; ceux-ci étaient appelés « chrétiens de riz. » Mieux avisés, les jésuites n’exploitèrent ni la famine ni le typhus ; ils épuisèrent leurs modestes ressources ; plusieurs moururent au chevet des malades, et, le péril passé, la reconnaissance publique s’attacha au souvenir de leur dévouement. Si donc la mission ne compte pas un plus grand nombre de chrétiens, ce n’est pas que l’occasion de multiplier les baptêmes ait fait défaut : on doit y voir au contraire une preuve de la réserve apportée par les missionnaires dans le choix de leurs prosélytes, et cette réserve mérite d’autant plus d’être signalée qu’elle forme un contraste plus frappant avec les pratiques usitées en d’autres époques.

Le père Broullion ne dissimule pas les difficultés qui s’opposent