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aux diplômes, ses entrées chez le mandarin, lui parler assis, troubler son repos en cas d’urgence, bref accuser et se défendre sans s’exposer, autant que les plébéiens, aux brutalités vénales de ce magistrat… » Que les élèves des jésuites obtiennent des succès dans les concours, qu’ils sachent expliquer Confucius aussi bien que les évangiles chinois du père Emmanuel Diaz, et qu’ils parviennent ainsi aux honneurs du mandarinat, ce sera pour le collège et pour les écoles de la mission le meilleur prospectus, et en même temps on aura trouvé le plus sûr moyen de convertir les Chinois. Les prosélytes ne se recruteront plus alors dans les couches inférieures de la société : on verra des conversions dans les classes moyennes et même dans les familles opulentes. Les catholiques deviendront plus influens, ils auront la main dans l’administration du pays. Ce ne sera certainement pas l’œuvre d’un jour, bien des années s’écouleront avant que les jésuites récoltent les fruits qu’ils ont semés ainsi en pleine terre chinoise ; mais le système, tel qu’il est exposé dans le mémoire du père Broullion, est sans contredit le mieux approprié aux habitudes de la nation et de toute manière le plus honorable. Les divers établissemens d’éducation fondés par les jésuites dans le Kiang-nan comptaient en 1853 près de treize cents élèves.

À ces institutions, il faut ajouter un séminaire, établi à Tsam-ka-leu. C’est la pépinière des prêtres indigènes. Là encore l’instruction est d’abord chinoise : l’étude de la langue de Confucius ne prend pas moins de sept à huit ans au séminariste qui, avant d’entrer dans les ordres, doit être apte à passer l’examen du baccalauréat ; puis viennent l’enseignement du latin, le cours de philosophie et le cours de théologie, de telle sorte que l’on ne peut guère arriver à la prêtrise avant l’âge de trente ans. Les prêtres indigènes sont encore peu nombreux en Chine. Ils doivent rendre plus tard de grands services, et ils remplaceront peu à peu les missionnaires européens qui ne seront plus que leurs auxiliaires. Toutefois les congrégations se montrent très difficiles pour les ordinations, et le père Broullion annonce que les jésuites ne procéderont à ces actes solennels qu’avec une extrême prudence. Je rapporte ces détails, parce qu’ils permettent d’apprécier sous un nouveau jour la politique religieuse adoptée en Chine par la compagnie. On sait que les jésuites ont été souvent accusés de se préoccuper plutôt du nombre que de la qualité de leurs convertis, et de ne point regarder de trop près à la parfaite orthodoxie des chrétiens inscrits sur leurs registres. N’avonsnous pas vu le père de Rhodes baptiser les infidèles par milliers et « aller à la chasse aux païens ? » L’accusation pouvait avoir à une autre époque quelque fondement : elle tombe aujourd’hui devant les faits. Après plus de dix ans de propagande active et intelligente, le père Broullion ne déclare que 72 000 chrétiens environ dans