Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/529

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

divers points de vue, la relation du père de Rhodes présente un intérêt réel ; mais on me permettra de ne point m’y arrêter pour le moment, et de demeurer en Chine avec le père Broullion.

II.

Il y a treize ans à peine que les jésuites sont rentrés en Chine. En 1840, un décret de la propagande leur confia le soin d’évangéliser la province du Kiang-nan, où leurs missions avaient été autrefois très florissantes, et en 1842 trois prêtres de la compagnie de Jésus débarquèrent à Shanghai. Les années suivantes, d’autres missionnaires vinrent partager leurs travaux. Ainsi fut fondée la mission du Kiang-nan, dont le père Broullion a retracé l’origine et les développemens dans un Mémoire qui mérite de fixer l’attention.

Le rappel des jésuites en Chine comblait les vœux de l’illustre compagnie. C’était un acte de légitime réparation. Les jésuites avaient, aux xviie et xviiie siècles, pris une trop large part à la propagation du catholicisme dans le Céleste Empire pour ne pas être désireux de s’associer aux travaux des lazaristes et de la congrégation des missions étrangères, qui leur avaient succédé. La Chine était pour eux pleine de souvenirs dont ils avaient droit de se montrer fiers, et de traditions que l’esprit même de leur institution leur commandait de renouer. Le pape Grégoire XVI rouvrit donc à leur propagande le territoire de la Chine. Là du moins la présence des jésuites ne paraissait pas devoir être redoutable pour l’équilibre européen ni pour la paix intérieure des états.

On ne trouve pas dans le Mémoire du père Broullion les récits émouvans, les élans enthousiastes qui donnent tant d’intérêt à la relation du père de Rhodes. Le missionnaire du xixe siècle n’a point à nous raconter les mille incidens d’un long voyage. C’est sur un navire de l’état, et dans des conditions presque comfortables, qu’il est transporté en Chine ; il n’a à craindre ni la rencontre des pirates ni l’apparition d’une voile ennemie. Peut-être son rôle à bord est-il réduit à des proportions plus modestes qu’autrefois : il ne dit plus la messe tous les jours, comme on avait coutume sur la Sainte-Thérèse ; il ne confesse guère les matelots, et les miracles sont devenus plus rares ; aussi le père Broullion ne parle-t-il même pas de sa traversée ; il pénètre tout de suite dans la province de Kiang-nan.

La situation d’un missionnaire à l’intérieur de la Chine a été si souvent décrite, qu’il est superflu de rappeler les prodiges d’adresse et de courage à l’aide desquels cet obscur soldat de la foi parvient à s’introduire et à résider mystérieusement au milieu d’une immense population qui lui est le plus souvent hostile. Ce qui est moins connu, c’est l’organisation hiérarchique d’une mission, c’est