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main et par l’intérêt, la foi vigoureuse qui prend jusque dans les rangs les plus humbles de la foule les âmes d’élite, et les exalte à d’héroïques martyres. Tout cela s’est reproduit au xviie siècle en Cochinchine, au Tonkin, en Chine, au Japon, et ce n’est pas un médiocre sujet d’orgueil pour le christianisme que cette similitude de faits, de sentimens, de miracles dans tous les temps et en tous pays. Je me figure que certains lecteurs ne pourront s’empêcher de sourire aux prodiges que le père de Rhodes se plaît à enregistrer dans son édifiante relation. Le temps n’est plus aux miracles, et à cet égard je n’ai point mission pour convertir les incrédules ; mais ce qui, même aux yeux de ces derniers, défendrait le père de Rhodes s’il avait besoin d’être défendu, ce qui le place au-dessus de toutes les moqueries des esprits forts et des sceptiques, c’est l’entière bonne foi, l’ardente conviction, la simplicité pénétrante de son récit. On peut croire, si l’on veut, qu’il s’est parfois exagéré les effets de la grâce, que ses regards sans cesse tournés vers un seul et même objet ont eu à certaines heures de pieux éblouissemens, et que son imagination, ce sixième sens ou plutôt cet unique sens des enthousiastes, l’a trop légèrement emporté dans les régions du surnaturel et dans la patrie des miracles. On reconnaîtra du moins qu’il n’y a là rien qui ne soit fort respectable. En tout cas, il n’est point nécessaire que le père de Rhodes recoure au merveilleux pour animer sa narration. Laissons là ses miracles, et retournons avec lui à la cour de Cochinchine, où il se passait en 1645 de curieuses choses. Un navire espagnol poussé par la tempête dans le port de Cham avait à bord quatre religieuses dont la venue mettait en émoi tout le pays. Bien que le christianisme ne fût pas alors en faveur, le roi et la reine voulurent absolument voir ces saintes filles, et l’on me saura gré, j’en suis sûr, d’emprunter au père de Rhodes le récit de cette singulière audience. « Ce fut environ vers les deux heures après midi que les religieuses allèrent au palais toujours bien voilées, en compagnie de deux pères religieux, du capitaine espagnol et d’environ cinquante soldats de sa garde, qui étaient tous fort bien couverts, et ne manquaient pas d’avoir cette belle gravité ordinaire à la nation. Le roi les attendait, appuyé sur une fenêtre qui regardait sur la grande basse-cour du palais ; la reine était sur une autre proche du roi. L’on avait préparé dans cette belle salle un réduit, environné de tapisseries et fort bien orné, où les religieuses pouvaient demeurer à couvert, sans être exposées aux yeux de toute cette grande cour. Le roi et la reine étaient magnifiquement vêtus ; les principaux du royaume s’y trouvèrent pour faire leur cour. La garde était alors de quatre mille hommes, divisés en quatre compagnies de mille hommes chacune, si bien rangés en divers quartiers, qu’ils ne couvraient aucunement