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noises une tolérance coupable, et j’avoue que, dans la bouche d’un tel homme, cette déclaration, faite en termes simples et nets, doit être tenue pour décisive. Est-ce à dire que le père de Rhodes ne se laisse pas aller parfois à d’innocentes exagérations ? A-t-il bien vu, par exemple, à Canton, « une rivière de deux grandes lieues de large, couverte de vingt mille bateaux ? » Ce serait beaucoup : il n’a cependant aucun intérêt à flatter les rivières. Peut-être a-t-il seulement entendu parler de l’espace qui, devant Canton, est occupé par la ville flottante, et qui, mesuré dans le sens du cours du fleuve, pourrait avoir à peu près l’étendue qu’il signale. Quoi qu’il en soit, ce ne serait qu’une erreur vénielle qui ne fait de tort à personne, et qu’il faut certainement pardonner à un jésuite qui a tant voyagé !

La population de la Chine est un véritable problème, dont la solution se balance entre les chiffres de 150 à 300 millions. Au temps du père de Rhodes, le chiffre le plus généralement admis était celui de 250 millions ; on le conjecturait d’après le produit de l’impôt payé pour l’entretien de l’armée. Or l’armée se composait de sept cent mille hommes, et la taxe, dont le taux était évalué à six sous par tête, procurait au trésor une somme de 75 millions de francs environ (soit 107 francs par soldat). En rapportant ce calcul, le père de Rhodes ne se préoccupe que du grand nombre d’âmes qui chaque année descendent aux enfers et que les missions doivent conquérir à l’église ; vers 1640, il y avait en Chine 120 000 catholiques, et la compagnie des jésuites y comptait trente pères, répartis entre dix-sept résidences.

On sait que, dans la langue nationale, l’empire chinois s’intitule l’Empire du Milieu. L’origine de cette dénomination a donné lieu à de vives controverses. D’après M. l’abbé Huc, qui a publié récemment un ouvrage sur la Chine, elle remonte au xiie siècle avant notre ère, à une époque où la Chine était divisée en plusieurs principautés : le nom d’Empire du Milieu fut alors attribué à celle de ces provinces qui se trouvait placée au centre et où résidait habituellement l’empereur. M. Huc estime que telle est la véritable et seule origine du terme dont les Chinois se servent encore aujourd’hui ; il invoque le témoignage de Klaproth, et, comme en général il est très absolu dans la défense des idées qu’il a et même de celles qu’il prend à d’autres (ce cas est fréquent), il traite fort durement la plupart des livres européens qui ont indiqué une étymologie différente. Je demande grâce au moins pour le père de Rhodes, qui, dès 1653, s’est exposé à être d’un avis contraire à celui du père Huc : « La Chine, écrit-il, est divisée en quinze provinces qui sont chacune un bien grand royaume ; aussi la grande étendue de leur pays et l’abondance des biens que l’on y possède a rendu les Chinois si présomp-