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qu’il trouve, il les met dans le sac, et quand il ne peut plus tenir son souffle, il fait signe, tirant la corde avec laquelle il est attaché. Ceux qui sont au bateau le tirent incontinent en haut ; on ouvre les huîtres qui sont dans le sac, où l’on trouve ordinairement plusieurs perles. » C’était à Tutucurin que du temps du père de Rhodes on pêchait les plus belles perles de l’Orient ; les Portugais y avaient une citadelle et les jésuites un collège fondé par saint François-Xavier. Un jour, les jésuites furent chassés de leur collège, et avec eux, par un juste châtiment du ciel, les huîtres se retirèrent ; plus de perles. Plus tard, les jésuites ayant été réintégrés dans leur collège, les perles revinrent. Du reste, toute cette région était pleine du nom et de la puissance des jésuites ; ils avaient des missions dans l’île de Manar, à Ceylan, sur la côte de Coromandel comme sur celle de Malabar, missions que le père de Rhodes, dans son cabotage apostolique, visite successivement, avant de s’embarquer pour Malacca, où il n’arrive que le 28 juillet 1622 à la faveur d’un miracle. Le navire étant échoué en vue du cap Bachado et presque perdu, il eut la pieuse idée de prendre dans un scapulaire un des cheveux de la sainte Vierge et de le plonger dans la mer en le liant avec une longue corde ; le bâtiment sortit immédiatement du sable où il était enfoncé, et le lendemain il entrait au port.

La ville de Malacca a subi de nombreuses vicissitudes. Fondée par les Portugais, attaquée et prise par les Hollandais, elle est aujourd’hui au pouvoir de la Grande-Bretagne. Comme Goa, c’est une grandeur déchue ; on n’y voit point de ruines cependant : les églises et les couvens sont encore debout, plusieurs édifices remontent au temps de la domination portugaise et rappellent de nobles souvenirs ; mais la croix ne surmonte plus les anciens temples, une génération hollandaise et une génération britannique, c’est-à-dire deux générations protestantes, ont peu à peu fait disparaître le catholicisme, jadis si florissant sur cette côte. Puis sont venus les Chinois, qui se sont établis en maîtres dans la ville, et qui forment le gros de la population. Du Portugal et des Portugais, il ne reste plus qu’un petit nombre de familles, dont quelques-unes ont mêlé leur sang avec celui de la race indigène. Lorsque je suis débarqué à Malacca, porté sur le dos d’un Malais (car à la mer basse les canots ne peuvent accoster la plage), j’avais peine à croire que ce port sans vaisseaux, que cette rive presque déserte eussent acquis au xviie siècle un si grand renom. Quelques barques de pêcheurs étaient couchées dans la vase, un cypaye ennuyé montait la garde pour l’Angleterre auprès d’une batterie de vieux canons : tout était silencieux et triste. Après avoir franchi un petit pont de pierre, j’entrai dans la principale rue, bordée d’habitations chinoises qui se reconnaissent à leurs boiseries vernissées, à leurs lanternes rondes et au cercueil en bois