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conversions à cette époque ne s’opéraient pas autrement ; on n’était pas difficile sur le choix des moyens, et les missionnaires catholiques procédaient avec une facilité singulière à la multiplication des chrétiens. Cela expliquerait, indépendamment des miracles de la grâce, les énormes chiffres de conversions dont s’enorgueillissaient les jésuites. — Le père de Rhodes allait donc à la chasse avec la plus sincère dévotion : c’est le plus bel exercice qu’il ait eu à Goa. Peut-être ne verra-t-on dans ce procédé, qui après tout sauve souvent les corps en même temps que les âmes, rien qui ne soit conforme aux sentimens d’humanité comme aux inspirations de la foi la plus vraie ; toutefois il est aisé de conclure des récits du père de Rhodes que parfois l’amour du gibier menait trop loin les pieux chasseurs, et qu’on se laissait aller à prendre violemment et jusque dans les bras de leurs mères des enfans qui eussent vécu heureux et aimés au foyer de la famille. Ce n’est pas tout : le père de Rhodes nous confessera que « l’on fait ordinairement grand honneur et beaucoup de caresses à ceux qui sont encore païens, et puis, quand ils sont baptisés, on ne daigne pas les regarder, et de plus, quand ils se convertissent, on les oblige à quitter l’habit du pays, et l’on ne saurait croire combien cela leur est rude. » En racontant ces détails, le missionnaire ne dissimule pas qu’ils lui ont causé un déplaisir bien sensible ; aussi ne faut-il pas abuser d’un secret si honnêtement révélé, ni demander un compte trop sévère à ce prosélytisme militant qui, au xviie siècle, s’était donné la tâche de conquérir par tous les moyens l’Asie à la foi romaine. N’oublions pas non plus que sur ces terres lointaines, où l’audacieux génie de quelques aventuriers avait enlevé à la pointe de l’épée de si vastes royaumes, il semblait naturel que la croix fût plantée avec une égale audace, et ne nous étonnons pas de voir les premiers missionnaires catholiques, jésuites en tête, apporter dans l’œuvre de la conversion ces allures expéditives et violentes qui trop souvent firent de leur croix une épée.

Le père de Rhodes demeura deux ans et demi à Goa ou à Salset, et le 12 avril 1622 il s’embarqua pour le Japon. Le capitaine du navire étant mort à Cochin, il prit un autre bâtiment sur lequel il eut à essuyer aux abords du cap Comorin une horrible tempête : heureux incident, car tout l’équipage, face à face avec la mort, demanda le baptême. Le cap fut enfin doublé, et le capitaine longea la côte dite de la Pêcherie, ainsi nommée à cause de la pêche des perles. « Ses habitans, dit le père de Rhodes, savent le temps de l’année propre à trouver ces belles larmes du ciel qui sont recueillies et endurcies dans les huîtres. C’est pour lors que les pêcheurs s’avancent en mer sur des barques ; l’un d’eux se plonge dedans, attaché sous les aisselles avec une corde, ayant la bouche pleine d’huile et un sac au cou ; il va jusqu’au fond et ramasse les huîtres