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doute par une grâce particulière de cette douce patronne. À peine échappé à ce danger, le navire faillit se perdre dans le détroit de Madagascar, puis le scorbut se mit dans l’équipage. Il était temps d’arriver à Goa, où la Sainte-Thérèse aborda le 9 octobre 1619, après six mois de traversée.

Le voyageur qui visite aujourd’hui Goa ne peut se défendre d’un profond sentiment de tristesse, lorsque, après avoir remonté la rivière et passé devant la ville neuve, il aperçoit sur sa droite la place où fut le vieux Goa. Ce ne sont que ruines d’églises et de couvens. Trois églises seulement sont encore entretenues. L’une d’elles conserve pieusement le tombeau de saint François-Xavier. Un petit nombre de fidèles, quelques moines viennent prier sous leurs dômes, où l’on voit encore étinceler par intervalles l’or des vieux lambris. Dans un arsenal qui avoisine ces édifices, autrefois splendides, gisent à terre plusieurs canons de bronze du temps d’Albuquerque. J’ai parcouru il y a peu d’années ces espaces désolés où l’on foule à chaque pas de grands souvenirs et où revivent en quelque sorte, à travers la brume de deux siècles, la gloire militaire et les religieuses traditions du Portugal. En lisant dans le récit du père de Rhodes la description de Goa tel qu’il était en 1619, et en me reportant à mes souvenirs de voyage, il me semble que je découvre une ville nouvelle ; les églises s’animent et retentissent de chants sonores, de blanches files de moines remplissent les vastes corridors des couvens ; l’arsenal se repeuple de soldats, les canons brillent sur leurs affûts ; le long du fleuve se presse une population nombreuse qui charge et décharge les navires aux sons cadencés des chants indiens. Ici est le palais du vice-roi, là celui de l’archevêque, — deux puissans personnages, dont l’un envoie ses flottes et l’autre ses missionnaires jusqu’aux rives les plus reculées de l’Asie. Tel était Goa aux yeux du père de Rhodes, ville « pleine de toutes les plus grandes délices de l’Europe et de plusieurs autres qui lui sont propres. » La compagnie des jésuites y possédait trois maisons, érigées sous les auspices de saint François-Xavier, qui prêcha la foi dans trois cents royaumes, accomplit tant de miracles et baptisa plus de trois cent mille chrétiens. Dans son zèle à marcher sur les traces de ce grand saint, le père de Rhodes, tout en se livrant avec ardeur à l’étude de la langue canarine, commença l’exercice actif de son apostolat par « la chasse des enfans païens. » Les rois de Portugal s’étaient réservé le droit de prendre les petits enfans orphelins et de les faire baptiser, puis de les recueillir dans un établissement où on leur enseignait la religion chrétienne. Chaque année, à la Saint-Paul, s’accomplissait la cérémonie du baptême pour les orphelins que les jésuites avaient pu découvrir. Le père de Rhodes en vit ainsi baptiser six cents, ce qui était, dit-il, une assez heureuse chasse. Beaucoup de