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breuses, et passait la plus grande partie de la journée à rassembler des touffes d’herbes sèches ou à effeuiller des bouquets de fleurs flétries. — Je lui ai proposé, ajouta Ansha, de faire des confitures de coing et de mûres, de la pâte de noix et du sirop de raisin : elle s’y est prêtée d’assez bonne grâce ; mais hélas ! je n’oserais jamais présenter à ta seigneurie le résultat de son travail, les servantes elles-mêmes n’en ont pas voulu, et cependant elle a usé plus de miel que je n’en emploie dans le courant d’une année. (Hamid était à la fois gourmand et économe.) Je croyais que cette petite m’aiderait à préparer tes sucreries et qu’elle te ferait économiser ce que te volent tes servantes ; mais elle ne sait rien faire que regarder les étoiles et se tenir auprès de sa fenêtre ouverte pour respirer le grand air, qui, dit-elle, lui fait du bien. Après tout, peu importe qu’elle possède ou non certains talens que je puis exercer à sa place. Je me fatigue quelquefois, mais c’est pour ton service, et cette fatigue m’est plus douce que le repos. Quant à Emina, tu l’as prise afin d’en avoir des enfans, et pourvu qu’elle t’en donne, le reste importe peu ; mais aurons-nous bientôt ce bonheur, cher seigneur ? Dois-je préparer la layette ? car Emina ne saurait comment s’y prendre, et je m’en félicite ; je tiens à soigner et à parer son enfant comme s’il était à moi.

— Rien ne presse, répondit le bey légèrement piqué ; Emina est encore très jeune, trop jeune, et il est probable qu’il nous faudra attendre quelque temps encore.

— Tu es plus patient que moi, noble Hamid, car chaque jour qui s’écoule sans te donner (permets-moi de dire sans nous donner) d’enfant me semble un jour perdu pour notre bonheur à tous. Et Anife, et Ismaël, et Aassan, et jusqu’à Fatma et à Benjamin, tous ces enfans souhaitent de si bon cœur avoir un petit frère ! Oh ! le jour où Emina comblera tous ces vœux, je l’aimerai bien !

— Pauvre bonne Ansha ! répondit le bey ému jusqu’aux larmes ; je sais bien que tu n’as de soucis que les miens ! Aussi es-tu et seras-tu toujours ma bien-aimée, quelque sacrifice que je sois d’ailleurs obligé de faire à ma famille et à ma parenté.

L’arrivée des enfans coupa court à ces tendres épanchemens, et la vue de ses cinq rejetons aida peut-être Hamid à endurer patiemment le retard qu’apportait Emina à l’arrivée du sixième.

Il n’y a en toutes choses, dit-on, que le premier pas qui coûte, et lorsque le premier pas n’a rien coûté, les suivans se succèdent à plus forte raison avec une incalculable rapidité. Ansha avait évité jusque-là de se placer officiellement entre le bey et sa jeune épouse ; mais, à partir de ce jour, elle profita de la liberté qu’Hamid, en la questionnant sur le compte d’Emina, venait de lui accorder implicitement. Dès-lors elle répondit sans même attendre les questions.