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n’avait que huit ans), mais qui commençait pourtant à ouvrir les yeux sur sa propre importance, et menaçait par conséquent de devenir sous peu aussi désagréable que sa sœur aînée. Enfin le Benjamin d’Ansha (c’était d’ailleurs son nom) entrait dans sa sixième année. Il était gâté au possible, mais son charmant naturel avait tenu bon contre les cajoleries sans fin, les monceaux de dragées et les flatteries colossales que chacun lui prodiguait. Le petit bonhomme se prit tout d’abord d’un goût effréné pour Emina, qui ne le gâtait pas, mais qui en revanche l’aimait fort, ce dont il eut la malice de s’apercevoir et de lui savoir gré. La mère lui pardonna ce penchant dépravé, elle se félicita même de ce qu’il lui fournissait un prétexte pour commencer les hostilités contre Emina, qui, disait-elle, s’efforçait de lui enlever le cœur de ses enfans. Hamid-Bey lui-même ne pourrait lui refuser son appui dans cette lutte toute maternelle.

Au-dessous des grandes dames et des filles du bey, il y avait dans le harem tout un monde d’esclaves de couleurs diverses, tenues en respect par l’autorité d’Ansha. Une fille d’Afrique, au teint luisant et noir comme l’ébène, aux formes puissantes et rebondies, au sourire grimaçant, se plaignait hautement du joug détesté, qu’elle ne subissait pas moins. Une Circassienne aux joues roses et aux yeux bleus, au nez tant soit peu camard, aux contours frêles et délicats, intriguait de toutes ses forces depuis son entrée dans le harem contre ce pouvoir illimité, qu’elle n’avait su pourtant ni miner ni contrebalancer. Seule, une Abassa (Abyssinienne) au teint olivâtre mais uni, aux traits larges mais réguliers, aux yeux noirs bien fendus et parfaitement veloutés, acceptait sans murmure, faute d’intelligence et d’énergie, la monarchie absolue telle qu’Ansha l’avait établie. C’était vers Hamid que gravitaient tous ces astres, c’était à lui que s’adressaient tous les regards partis de ces prunelles noires ou bleues ; mais Hamid lui-même subissait la royauté qu’il avait créée, et ce n’était qu’à la dérobée, et pendant l’absence d’Ansha, qu’il osait payer de quelques faveurs insignifiantes les agaceries sans nombre dont il était l’objet.

Une jeune fille tout récemment descendue de ses montagnes et jetée sans instruction préalable dans un pareil guêpier (que l’on me pardonne cette expression vulgaire) devait se sentir mal à l’aise. Par bonheur pourtant, Emina n’apprécia pas tout d’abord à leur juste valeur tous les embarras de sa position. Selon elle, Ansha était une mère de famille, jusque-là maîtresse absolue dans le harem, et qui ne pouvait voir sans peine qu’on lui eût donné une rivale dans l’affection de son seigneur. Son bon sens lui apprit cela, mais rien que cela, et son bon cœur lai suggéra la pensée d’adoucir autant qu’il