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LA PETITE COMTESSE.

une résistance à laquelle on ne l’a point accoutumée. Ayez l’humilité de lui céder. Faites cela pour moi.

— Sérieusement, madame, vous pensez ?…

— Je pense, reprit en riant la vieille dame, ne vous en déplaise, que vous perdrez votre principal mérite à ses yeux aussitôt qu’elle vous verra subir son joug comme tout le monde.

— En vérité, madame, vous me présentez les choses sous un point de vue tout nouveau. Jamais je n’ai conçu la pensée d’attribuer les taquineries de Mme  de Palme à un sentiment dont j’eusse lieu de me glorifier.

— Et vous avez eu raison, reprit-elle vivement : il n’y a jusqu’à présent rien de pareil, Dieu merci ; mais cela eût pu venir, et vous êtes trop galant homme pour le vouloir avec les dispositions que je vous connais.

— Je m’abandonne absolument à votre direction, madame ; je vais mettre mon chapeau et mes gants. Reste à savoir comment Mme  de Palme accueillera mon empressement un peu tardif.

— Elle l’accueillera fort bien, si vous mettez de la bonne grâce à le lui offrir.

— Pour cela, madame, j’y mettrai toute celle dont je suis capable.

Sur cette assurance, Mme  de Malouet me tendit sa main, que je baisai avec un profond respect, mais avec une assez mince gratitude.

Quand j’arrivai dans le salon, botté et éperonné, Mme  de Palme y était seule : plongée dans un fauteuil et ensevelie sous ses jupes, elle achevait de rattacher sa bourdaloue. Elle leva et baissa rapidement les yeux, qu’elle avait fort rouges.

— Madame, lui dis-je, je suis si sincèrement affligé de vous avoir offensée, que j’ose vous demander le pardon d’une maussaderie impardonnable. Je viens me mettre à votre disposition ; si vous refusez ma compagnie, vous ne ferez que m’infliger une mortification très méritée, mais vous me laisserez plus malheureux que je n’ai été coupable,… et c’est beaucoup dire.

Mme  de Palme, tenant plus de compte de l’émotion de ma voix que de mon pathos diplomatique, releva les yeux vers moi, entr’ouvrit les lèvres, ne dit rien, et finalement avança une main un peu tremblante que je me hâtai de recevoir dans la mienne. Elle se servit aussitôt de ce point d’appui pour se dresser sur ses pieds, et bondit légèrement sur le parquet. Quelques minutes après, nous étions tous deux à cheval, et nous sortions de la cour du château.

Nous atteignimes l’extrémité de l’avenue sans avoir échangé une parole. Je sentais profondément, tu peux le croire, combien ce silence, de mon côté du moins, était gauche, empesé et ridicule ; mais,