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sin, dix mesures d’orge et trois voitures de paille par an. Voilà mes conditions.

Qu’on me permette une courte digression au sujet de ce mariage. Hassana avait espéré d’abord qu’il s’agissait de vendre sa fille pour deux mille piastres à un grand seigneur, ce qui ne blessait aucunement les susceptibilités paternelles de son cœur turc. Pareilles choses ont lieu tous les jours parmi les personnages les plus considérables de l’empire. La femme, en tant que femme, y est cotée si bas sur l’échelle des mœurs et du sentiment, qu’elle ne peut guère déchoir. L’esclavage d’ailleurs n’a rien de dur ni d’humiliant dans ces contrées, et la concubine se trouve matériellement et moralement dans la même condition à peu près que l’épouse légitime. Hassana eût donc été le plus heureux des Turcs s’il eût pu échanger sa fille contre un reçu de deux mille piastres signé Hamid-Bey. Reste à expliquer maintenant pourquoi le bey préférait une femme à une esclave, et la raison en est si simple que j’ose à peine la dire : c’est que l’une lui revenait meilleur marché que l’autre. Non-seulement il conservait par son mariage tous ses droits sur la terre d’Hassana, et il imposait à ce dernier une redevance assez considérable, mais il ne se chargeait pas d’une esclave, qui est souvent un meuble fort dispendieux. Si elle est mécontente de sa destinée, si son maître lui inspire une aversion insurmontable, si les épouses légitimes de celui-ci lui rendent la vie par trop dure, l’esclave a le droit de forcer son maître à l’établir quelque part à son gré, à lui faire un présent que le cadi ou le juge se réserve de fixer, et qu’il grossit de son mieux afin que sa part soit meilleure. La femme légitime ne jouit pas des mêmes avantages ; elle peut, à la vérité, réclamer le divorce, qu’elle obtient même sans de trop grandes difficultés, mais cela arrive rarement. Le mari se borne dans ce cas à restituer la dot, quand il en a reçu une, et comme en même temps il se fait rendre par les parens de la femme la somme qu’il leur a donnée lorsqu’il a épousé leur fille, chacun rentre dans ses déboursés, sans se trouver ni plus riche ni plus pauvre qu’avant le mariage. Ici par exemple la dot était nulle, et le prix payé par Hamid-Bey à Hassana pour l’achat d’Emina se montait à cinquante piastres. De semblables mariages sont très communs en Turquie. On croit généralement qu’une jeune fille élevée dans la pauvreté coûte moins cher, si elle ne rapporte pas, qu’une demoiselle élevée et nourrie dans des habitudes de luxe et d’oisiveté. Hamid-Bey savait bien qu’Emina ne le ruinerait ni en frais de toilette, ni en essences, ni en cosmétiques, ni même en confitures ou sucreries. D’ailleurs il était marié depuis plusieurs années à la veuve de son frère aîné, qui, plus âgée que lui de deux ans, ne lui avait donné que cinq enfans, dont le plus jeune comptait alors