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rieur se rétablit. Emina s’aperçut de ce changement, et s’adressant sans préambule au convalescent, elle lui dit : — Tu me reconnais maintenant, Saed ? Te voilà de retour ; tu vois où tu es, et auprès de qui ? C’est bien, et comment te trouves-tu ?

— Est-ce que je suis malade ? répondit l’enfant avec effroi. Pourquoi ne puis-je remuer ? Oh ! que je suis faible ! Que m’est-il donc arrivé, Emina ?

— Tu as été malade, mais je crois que te voilà guéri. Qu’as-tu fait de tes chèvres ?

— Mes chèvres ? répéta Saed de l’air d’abord de quelqu’un qui cherche en vain à rappeler ses souvenirs, et bientôt avec une vive inquiétude. Ah ! mon Dieu ! que seront-elles devenues ? Je me souviens maintenant que, me sentant faible et tremblant, je me suis couché à terre et j’ai fermé les yeux ; mais c’est tout ce que je sais. Ai-je dormi longtemps ? est-il arrivé malheur à mon troupeau ?

— Rassure-toi, Saed ; ton troupeau est là-bas avec le mien, sous la garde de nos chiens, et sous la mienne aussi, car, tout en te soignant, je n’ai pas perdu de vue nos chèvres. Essaie de te lever maintenant.

Saed obéit et ne parvint qu’à se mettre sur son séant ; il ne souffrait pourtant plus, et il sentait que la santé lui était revenue. — Je suis sûr que c’est toi qui m’as guéri, disait-il à Emina. Merci, Emina, merci, je ne l’oublierai pas.

— Est-ce bien moi qui t’ai guéri ? reprit Emina, qui, selon sa coutume, partait d’un point quelconque pour s’élever à des considérations d’un ordre peu accessible en apparence à un enfant de son âge et dans sa position. C’est moi qui ai trouvé une herbe salutaire, mais qui donc m’a parlé un jour que je l’admirais, cette fleur si jolie, et m’a dit : Il y a là-dedans de quoi guérir de la fièvre ? Non, non, ce n’est pas moi. J’ai entendu la voix, j’ai obéi à ses ordres ; mais cette voix n’était pas la mienne, et ce n’est pas moi qui ai commandé, puisque c’est moi qui ai obéi. Ah ! Saed, celui qui comprendrait toute chose serait bien heureux ! Celui que nous nommons Allah jouit sans doute de ce bonheur-là.

Le fait est que Saed, lui, ne comprenait pas le premier mot de ce qu’Emina lui disait là. Il n’avait saisi que le nom d’Allah, et il ne trouva rien de mieux à répondre que la banale exclamation si fréquemment employée par les Orientaux : hich Allah ! (plaise à Dieu !) Emina le regarda un moment avec étonnement, puis elle secoua doucement sa jolie tête et se mit à tracer quelques figures sur la terre avec son bâton.

Saed pourtant ne ressemblait pas au petit chevreau de la chèvre rouge, il n’était pas ingrat : aussi voua-t-il à sa bienfaitrice quelque