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LA PETITE COMTESSE.

assurée qu’à l’ordinaire, lorsqu’elle me dit, à peine entrée : — Ah ! pardon !… est-ce que Mme de Malouet n’est pas ici ?

Je m’étais levé de toute ma grandeur. — Non, madame, elle n’est pas ici.

— Ah ! pardon… Vous ne savez pas où elle est ?

— Non, madame ; mais je vais m’en informer, si vous le désirez.

— Merci, merci… Je vais la trouver… C’est qu’il m’est arrivé un accident…

— Vraiment, madame ?

— Oh ! fort peu de chose,… une branche a déchiré la bourdaloue de mon chapeau, et mes plumes sont tombées…

— Vos plumes bleues, madame ?

— Oui,… mes plumes bleues… Enfin je suis revenue au château pour faire recoudre ma bourdaloue… Vous êtes bien là pour travailler ?

— Parfaitement, madame, on ne peut mieux.

— Êtes-vous très occupé dans ce moment-ci ?

— Mais oui, madame, assez occupé.

— Ah ! tant pis !

— Pourquoi donc ?

— Parce que… j’avais envie,… l’idée m’était venue de vous demander de m’accompagner à la forêt… Ces messieurs seront presque arrivés quand je repartirai,… et je ne puis guère m’en aller seule,… si loin…

En gazouillant du bout des lèvres cette explication un peu embrouillée, la petite comtesse avait un air à la fois sournois et troublé qui fortifia beaucoup le sentiment de défiance que la gaucherie de son entrée avait fait naître dans mon esprit.

— Madame, lui dis-je, vous me désespérez : je regretterai toute ma vie d’avoir laissé échapper l’occasion charmante que vous daignez m’offrir, mais il faut que le courrier de demain emporte ce travail, que le ministre attend avec une extrême impatience.

— Vous avez peur de perdre votre place ?

— Je n’en ai pas, madame ; ainsi…

— Eh bien ! laissez attendre le ministre pour moi : ça me flattera.

— C’est impossible, madame.

Elle prit un ton fort sec : — Mais… c’est trop singulier !… Comment ! vous ne tenez pas plus que cela à m’être agréable ?

— Madame, lui dis-je assez sèchement à mon tour, je tiendrais beaucoup à vous être agréable, mais je ne tiens nullement à vous faire gagner votre pari.

Je lançais cette insinuation un peu au hasard, m’appuyant sur quelques souvenirs et sur quelques indices que tu as pu recueillir à et là dans mon récit. Toutefois j’avais touché juste. Mme de Palme