Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/468

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entamées. Voilà pour le côté financier et en quelque sorte technique de la question. En ce qui touche le côté politique, les États-Unis prétendent que toutes leurs traditions leur défendent de s’en préoccuper ; qu’ils ne sont point garans de l’équilibre européen, que la considération de l’affaiblissement et des embarras qui peuvent résulter pour le Danemark de la perte du revenu du Sund leur est étrangère, que par conséquent ils figureraient mal dans une assemblée où de pareils motifs pèseraient plus ou moins ouvertement sur les délibérations de ses membres, et qu’il ne leur convient pas de courir la chance de se trouver entraînés dans une sphère d’idées et d’intérêts en dehors desquels ils se sont toujours tenus avec le plus grand soin.

Il y aurait sans doute plus d’une observation à faire sur la conduite du gouvernement fédéral dans ce débat qu’il a provoqué par une résolution adoptée sans ménagement pour une puissance relativement faible, et qui a pris d’urgence les proportions d’une affaire européenne. Quand on se demande s’il avait quelque autre grief contre le Danemark, on trouve que non, et qu’au contraire, jusqu’à ce qu’il ait soulevé cette question, il n’avait eu qu’à se louer de ses relations avec le cabinet de Copenhague, notamment dans le règlement des réclamations américaines pour prises d’une légalité douteuse pendant le blocus continental. Quand on cherche quel intérêt tout particulier il a pu avoir à l’affranchissement immédiat de son pavillon des droits du Sund, on trouve que la moyenne de sa navigation annuelle dans la Baltique est bien inférieure à celle de l’Angleterre, des Pays-Bas, de la Suède et de la Norvège, du Zollverein, de la Russie, de la France même, et que par conséquent les droits payés par son commerce sont presque insignifians. Il est donc très difficile de s’expliquer pourquoi les États-Unis, qui ne sont pas chevaleresques et qui ne font guère que de la politique utilitaire, se sont déclarés les champions du principe absolu et théorique de la liberté des mers, — mare liberum, — en vertu duquel seul ils attaquent une institution respectée jusqu’à présent par les puissances les plus intéressées à la détruire. Si le cabinet de Washington n’affectait pas autant d’éloignement pour se mêler aux affaires de l’Europe, on pourrait le soupçonner de s’être entendu pour cette campagne diplomatique avec le gouvernement prussien, qui gagnera le plus, directement et indirectement, à la suppression du péage du Sund ; mais il est plus vraisemblable qu’on s’est proposé de faire un peu d’effet à bon marché, dans un intérêt de parti et en vue de la prochaine élection présidentielle. On a voulu ainsi faire en quelque sorte la leçon aux puissances européennes sans se soucier des convenances de leur politique ; on s’est placé sur un terrain habilement choisi pour y trouver des auxiliaires par la force des choses, sans avoir l’air de les chercher, et en déclarant à l’Europe qu’on veut demeurer étranger à ses affaires, à ses intérêts, à ses ménagemens de toute espèce, on lui donne à entendre qu’elle ne doit pas davantage s’occuper des affaires du Nouveau-Monde, où les États-Unis ont la prétention de se réserver une entière liberté d’action, sans avoir à rendre compte de leurs agrandissemens territoriaux ou de l’extension de leur influence.

Voilà, si nous ne nous trompons, toute la question du Sund pour le cabinet de Washington. Aussi, satisfait de s’être donné cette importance et