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maritimes. Des consuls pourront être établis dans tous les ports pour la protection des intérêts commerciaux. Les deux puissances riveraines détermineront le nombre de bâtimens légers nécessaires au service de leurs côtes par une convention séparée qui sera annexée au traité général, et ne pourra être annulée ou modifiée sans le consentement des signataires du traité de paix. Enfin les immunités des sujets chrétiens de la Porte seront toujours l’objet d’une garantie collective de l’Europe, combinée et exercée de façon à ne point porter atteinte à l’indépendance et à la souveraineté du sultan. Reste une dernière clause par laquelle les puissances belligérantes se réservent le droit de stipuler des conditions particulières dans un intérêt européen.

Telles sont ces propositions dont le cabinet de Vienne s’est fait l’organe à Pétersbourg. À les examiner de près, il est facile d’y démêler des clauses de diverse nature. Il en est d’un caractère général pour ainsi dire, comme la garantie de l’amélioration du sort des chrétiens et l’abolition des traités qui, en subordonnant la Turquie à la Russie, faisaient de cette dernière la maîtresse irrésistible de l’Orient. Celles-ci n’ont point subi véritablement de modifications depuis les conférences de Vienne. Il y en a une qu’on pourrait appeler spécialement allemande, bien que l’Allemagne ait si peu fait jusqu’ici et semble disposée à si peu faire encore pour sa propre cause et ses propres intérêts : c’est celle qui concerne le Danube et la cession de territoire aux embouchures de ce fleuve. La condition principale enfin, celle qui a une portée essentiellement européenne, universelle, c’est la neutralisation de la Mer-Noire. En renonçant à recomposer une flotte menaçante, en cessant d’entretenir des arsenaux où semblait toujours couver une pensée de conquête, en soumettant ses ports aux règles et aux usages du droit international, en consentant à placer tous ces arrangemens sous l’autorité collective de l’Europe, la Russie offrirait la preuve manifeste de l’abdication de toute vue ambitieuse, et elle ferait véritablement hommage à la paix publique, à l’équilibre général, de ces traditions séculaires dont parle encore M. de Nesselrode dans sa dernière circulaire. Dans cette guerre si complexe et si vaste, d’autant plus difficile à définir qu’elle embrasse plus de questions, s’il est un but précis, immédiat et pratique auquel il soit utile de s’attacher avant tout, c’est l’affranchissement de cette mer transformée en un lac pacifique ouvert au commerce et à tous les intérêts du monde. Et, il faut l’observer, ce n’est point par une voie d’humiliation pour la Russie que le problème se trouverait résolu, c’est par l’acquiescement de cette puissance à un principe de civilisation. Quant à l’efficacité même de cette grande mesure pour la sécurité et la garantie de l’Europe, c’est la manifestement le point essentiel. Or, si l’on remarque l’importance que la flotte de l’Euxin a toujours eue dans les plans d’envahissement de la Russie, il n’est point douteux que la neutralisation de la Mer-Noire, sincèrement acceptée par le cabinet de Pétersbourg, ne fût la garantie la plus réelle et la plus solide pour l’Occident.

La flotte russe était après tout un instrument toujours tenu en réserve pour l’exécution d’un coup de main de nature à décider du sort de la Turquie, et voici à ce sujet comment raisonnait avec un diplomate français un général russe chargé en 1836 d’un commandement important dans la Russie