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entreprît d’imposer silence aux passions, et qu’elle comprît le néant des félicités enviées jusque là. S’il y a dans les poètes païens quelque trace d’un sentiment pareil, c’est une trace à peine marquée, une trace sans profondeur, qui n’infirme pas la justesse de ma pensée. Aussi, quand je vois Psyché dans le premier poème de M. de Laprade mélancolique et rêveuse comme Ophélie, comme Desdemone, je suis obligé de déclarer que l’auteur eût agi plus sagement en n’abordant pas l’antiquité païenne, puisqu’il ne consentait pas à se dépouiller de ses sentimens personnels. Pareillement, quand je vois le précurseur, celui qui a baptisé le Christ, s’enfuir au désert, non pas seulement pour se dérober à la corruption des villes, pour méditer sur les présages qui annoncent le renouvellement moral de l’humanité, mais pour s’abreuver de sa tristesse, pour savourer son dégoût de la vie, pour s’enivrer de sa mélancolie, je m’étonne à bon droit de cette nouvelle méprise, car ce sentiment nouveau, inconnu à l’antiquité païenne, n’a pas précédé, mais suivi l’établissement de la loi chrétienne, et j’ai le droit de dire que dans le poème de M. de Laprade saint Jean Baptiste n’est pas plus vrai que Psyché. Parfois attendrissant, parfois digne d’admiration, passionné pour la doctrine qu’il a embrassée, plein de mépris pour le vice, d’éloquence contre l’incrédulité, il laisse trop souvent échapper des pensées que nous comprenons sans peine, et que son temps n’aurait pas comprises. Il n’appartient donc pas aux premières années de la religion chrétienne. J’ai tout lieu de croire que M. de Laprade connaît l’histoire de ces premières années, et qu’il eût facilement trouvé dans sa mémoire les traits caractéristiques dont il avait besoin pour marquer la date de ce personnage ; mais absorbé dans la contemplation de ses pensées personnelles, en essayant de se mettre à la place de saint Jean, il n’a réussi qu’à transformer saint Jean en un chrétien moderne, croyant et savant tout à la fois, qui rattache le développement de la foi au développement général de l’humanité.

Le dernier recueil de M. V. de Laprade, publié récemment, nous montre son talent, je ne dirai pas sous un aspect nouveau, mais plus largement développé. Sa pensée a plus d’ampleur, et les images, mieux choisies, lui donnent plus de relief et d’évidence. Cependant, avant d’entamer l’examen de ce dernier recueil, je crois devoir soumettre à l’auteur une observation préliminaire. Il appelle ses poésies nouvelles du nom de Symphonies ; or il n’ignore pas, il ne peut pas ignorer que ce nom ne convient qu’aux morceaux concertans, et la parole humaine, soumise au rhythme et à la rime, de quelque façon qu’elle soit maniée, ne peut avoir la prétention de lutter avec les cent voix de l’orchestre. Le titre de ce dernier volume a donc le tort très grave d’éveiller une espérance qui ne doit pas se réaliser. En général il est toujours fâcheux de chercher dans un art déterminé, dont