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Eh bien ! dans un sujet qui relève de la foi, la couleur historique et locale n’a pas moins de valeur que dans un sujet profane. Ce qui manque aux poèmes évangéliques de M. de Laprade, ce n’est ni l’ampleur de la pensée, ni l’harmonie des périodes : c’est la naïveté. Or je crois que les traditions chrétiennes, transportées dans le domaine de la poésie, ne peuvent se passer de naïveté. Nous n’acceptons plus aujourd’hui l’arrêt prononcé au XVIIe siècle ; nous ne contestons plus à l’imagination le droit d’aborder les sujets chrétiens aussi librement, aussi hardiment que les sujets païens. Le passé tout entier appartient à imagination comme à la mémoire, comme à la raison ; le poète peut en disposer au même titre que l’historien et le philosophe. Nous sommes trop loin maintenant de la révocation de l’édit de Nantes pour partager les scrupules de Boileau ; mais si nous croyons que la poésie peut sans impiété demander à la Genèse, à l’Évangile le thème de ses compositions, nous croyons aussi qu’elle doit se plier à l’esprit des temps, et ne pas prêter aux patriarches ou aux apôtres des pensées toutes modernes. Que les philosophes trouvent dans Moïse ou dans saint Matthieu le germe des vérités qu’ils enseignent, un tel fait ne justifie pas les poètes qui méconnaissent la couleur des temps. Il s’agit pour eux de ressusciter le passé, et non de le commenter. M. de Laprade, en nous racontant la fuite au désert de saint Jean Baptiste, ses prédications et sa mort, ne s’en est pas tenu à la résurrection du passé. Volontairement ou involontairement, peu importe, il a substitué les sentimens qui l’animent, les pensées qui le guident, aux sentimens et aux pensées de ses personnages. Moins savant et plus naïf, il aurait gardé sa grandeur et charmé plus sûrement.

Il semble donc que M. de Laprade ne soit vraiment à l’aise que lorsqu’il n’a pas à tenir compte des temps. En effet, quoique son talent ait pris de bonne heure un essor très élevé, il n’a jamais trouvé pour la peinture d’une époque donnée des couleurs aussi vives, des images aussi bien assorties que pour la peinture de sa propre, pensée. Habitué à sonder les profondeurs de son âme, malgré son ardent amour pour l’étude, dont la preuve se trouve à chaque page, il se complaît trop volontiers dans l’analyse de ses sentimens pour se plier aux exigences d’un thème choisi en dehors de lui même. Ce que j’ai dit de son premier poème et de ses Poèmes évangéliques n’étonnera personne. Tous ceux qui ont lu avec attention le Précurseur et Psyché comprendront la justesse de mes remarques. Qu’on accepte avec soumission ou qu’on, discute librement les traditions chrétiennes, qu’on admire ou qu’on dédaigne les fables du polythéisme, pour peu qu’on les possède, il est impossible de méconnaître l’infidélité historique de M. de Laprade. Sa pensée, qui