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Voir et comprendre sans aimer ne saurait donner le bonheur. À cette vérité vieille comme le monde, M. de Laprade a prêté un accent nouveau. Après, avoir lu et médité Alma parens, on peut encore chercher la solitude, mais on n’attend pas d’elle la guérison de la douleur morale ; on comprend que l’affection est seule capable d’apaiser les troubles du cœur. Il y a donc dans cette pièce un double mérite, le mérite philosophique et le mérite poétique. C’est un conseil excellent, exprimé dans une langue harmonieuse. La sagesse, en passant par la bouche du poète, garde son autorité, mais la beauté du langage adoucit la leçon. Aussi je n’hésite pas à dire qu’Alma parens est une des meilleures pièces de notre poésie lyrique.

La Mort d’un chêne soutient dignement la comparaison avec Alma parens. Le poète, en voyant le géant de la forêt couché sur la mousse, se rappelle ses heures de rêverie, le gazouillement des nids amoureux, le bourdonnement des abeilles ; il maudit la cognée qui a frappé le vieux chêne. Cette évocation du passé, éloquente et spontanée, fait de la Mort d’un chêne un deuil qui n’a rien de puéril. Le chêne couvrait de son ombre un arpent de terrain ; les couples amoureux venaient s’asseoir à ses pieds et trouvaient ; sous ses branches touffues un asile assuré. Maintenant qu’il est tombé, c’en est fait de la solitude et du silence. La cognée sera-t-elle sans pitié pour les forêts ? Le bruit des villes va-t-il tout envahir ? Les oiseaux et les abeilles n’auront-ils plus d’abri ? Inquiétude sincère, que la raison réussit à calmer. Si le vieux chêne est tombé, si les hôtes qu’il avait recueillis dans son ombre ont fui d’une aile agile aux premiers coups de la cognée, la nature n’est pas épuisée ; elle enferme en son sein des germes féconds et sans nombre. Les générations nouvelles auront pour rêver, pour parler d’amour, des ombrages silencieux ; des forêts nouvelles leur donneront abri. Un chêne tombe, un chêne grandit. Pourquoi l’avenir vaudrait il moins que le passé ?

Les Adieux sur la montagne n’offriraient qu’un sens assez mystérieux, si l’on négligeait d’en chercher l’explication dans la dédicace placée en tête du recueil. Je ne crois pas me tromper en disant que les Adieux ne sont qu’une traduction poétique de la dédicace. Heureux ceux qui inspirent, heureux ceux qui ressentent de telles amitiés ! M. Barthélémy Tisseur, à qui M. de Laprade a dédié ce volume, avait été pour le poète un guide sûr et vénéré malgré sa jeunesse. Enlevé avant l’âge, il a laissé dans le cœur de ses amis un souvenir profond qui ne s’effacera pas. Les Adieux sur la montagne ont désormais consacré sa mémoire, car c’est à lui, je le crois du moins, que ces adieux s’adressent. Toute cette pièce est empreinte d’un sentiment religieux, qui donne au bonheur goûté par les trois, amis une sérénité singulière, à leur séparation quelque chose de pathétique » Ils ont vécu ensemhle sous l’œil de Dieu quelques jours de paix, parlant