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à la vindicte effrayante d’une femme jeune, impérieuse et courroucée. Mon attitude était donc fort pauvre.

Mme de Palme s’arrêta à deux pas de moi, étala sa main droite sur le marbre de la cheminée, et allongea vers la flamme du foyer la pantoufle mordorée qui emprisonnait son pied gauche. Ayant accompli cette installation préalable, elle se tourna vers moi, et sans m’adresser un seul mot, elle parut jouir de ma contenance, qui, je te le répète, ne valait rien. Je résolus de me rasseoir et de reprendre ma lecture ; mais auparavant, et en guise de transition, je crus devoir dire poliment : — Vous ne voulez pas cette Revue, madame ?

— Merci, monsieur, je ne sais pas lire. — Telle fut la réponse qui me fut aussitôt décochée d’une voix brève. Je fis de la tête et de la main un geste courtois, par lequel je semblais compatir doucement à l’infirmité qui m’était révélée, après quoi je m’assis. J’étais plus tranquille. J’avais reçu le feu de mon adversaire. L’honneur me paraissait satisfait.

Néanmoins, au bout de quelques minutes de silence, je recommençai à sentir l’embarras de ma situation ; j’essayais vainement de m’absorber dans ma lecture ; je voyais une foule de petites pantoufles mordorées miroiter sur le papier. Une scène ouverte m’eût décidément semblé préférable à ce voisinage incommode et persistant, à la muette hostilité que trahissaient à mon regard furtif le pied agité de Mme de Palme, le cliquetis de ses bagues sur la tablette de marbre et la mobilité palpitante de sa narine. Je poussai donc malgré moi un soupir de soulagement quand la porte, s’ouvrant tout à coup, introduisit sur le théâtre un nouveau personnage que je pouvais considérer comme un allié. C’était une dame, amie d’enfance de lady A…, et qui se nomme Mme Durmaître. Elle est veuve et infiniment belle ; elle se distingue par un degré de folie moindre au milieu des folles mondaines. À ce titre, et aussi bien en raison de ses charmes supérieurs, elle a conquis dès longtemps l’inimitié de Mme de Palme, qui, par allusion aux toilettes sombres de sa rivale, au caractère languissant de sa beauté et à sa conversation un peu élégiaque, se plaît à l’appeler, entre jeunes gens, la veuve du Malabar. Mme Durmaître manque positivement d’esprit ; mais elle a de l’intelligence, un peu de littérature et beaucoup de rêverie. Elle se pique d’un certain art de conversation. Me voyant dépourvu moi-même de tout autre talent de société, elle s’est mis dans la tête que je devais avoir celui-là, et a entrepris de s’en assurer. Il s’en est suivi entre nous un commerce assez assidu et presque cordial, car si je n’ai pu répondre à toutes ses espérances, j’écoute du moins avec une attention religieuse le petit pathos mélancolique dont elle est coutumière. J’ai l’air de le comprendre, et elle m’en sait gré. La