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par le choix du rhythme ou l’insuffisance de la rime. La pratique du métier lui enseignera ce que tant d’autres savent si bien et prennent pour la poésie même. Malgré les taches que je signale dans son talent, il occupe dès à présent un rang élevé dans la littérature contemporaine. Il sent et il pense avant de parler. S’il ne possède pas au suprême degré l’art de bien dire, si l’expression trahit parfois son intention, ou ne la rend que d’une manière incomplète, il n’a pas lieu de s’en affliger, puisque, malgré l’imperfection de la forme, son émotion et sa pensée arrivent jusqu’à l’âme du lecteur. Quant à l’alliance trop évidente de la poésie et de la philosophie, qui se révèle dans tous ses ouvrages, je ne la signalerais pas à l’attention, s’il eût pris soin en toute occasion de leur attribuer des droits égaux ; mais il lui est arrivé plus d’une fois d’oublier à peu près complètement la poésie pour la philosophie pure, et la sympathie que m’inspire son talent m’oblige à lui dire qu’il a méconnu la condition de toute solide alliance, la parité. Il pense librement, il s’élève sans effort jusqu’aux plus hautes régions : à ne considérer que le développement et l’essor de son intelligence, nous lui devons le tribut de notre admiration ; mais si nous tenons compte de la forme qu’il a choisie, si nous ne perdons pas de vue sa qualité de poète, nous sommes forcé de reconnaître qu’il ne fait pas une part assez large à l’imagination. Il expose, il déduit souvent sa pensée à la manière des philosophes, et ne prend pas assez de souci de l’intelligence de la foule ; il atteint jusqu’aux cimes les plus hautes, et oublie trop volontiers que tous les regards ne peuvent le suivre. S’il donnait à sa pensée une forme plus vive, plus animée, elle ne perdrait rien de sa valeur et produirait une impression sinon plus profonde, du moins plus générale.

Les remarques précédentes s’appliquent sans distinction à toutes les œuvres de M. de Laprade. Sans doute on pourrait citer de lui plus d’une page où l’éclat et la limpidité de l’expression s’accordent merveilleusement avec la hauteur de la pensée ; mais si nous envisageons l’ensemble de ses conceptions, nous sommes amené à dire que depuis quatorze ans il n’a pas changé de méthode. S’il lui est arrivé de rencontrer une forme excellente, on peut affirmer en pleine sécurité qu’il n’accorde pas assez d’importance à la forme, ou du moins que s’il s’en préoccupe, il ne réalise pas toute sa volonté. Depuis quatorze ans, l’horizon de sa pensée s’est heureusement élargi, je ne songe pas à le nier. Certes je préfère les Symphonies, publiées en 1855, au poème de Psyché, publié en 1841. Cependant je retrouve dans les Symphonies le procédé intellectuel mis en usage dans son premier poème. M. de Laprade ne se contente pas du côté poétique de la nature ; il s’applique en toute occasion à l’explication du côté symbolique. Excellente pour les penseurs, pour les esprits familiarisés avec la réflexion, cette méthode offre plus d’un