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puisque nulle part le fond même de la langue n’en a été affecté, mais seulement ce qu’on peut appeler la partie variable et extérieure. Voilà comment la langue toute seule pourrait remplacer et suppléer l’histoire, si celle-ci était perdue. Quant aux Moldo-Valaques, sans s’être embarrassés beaucoup de cette question, l’instinct du salut leur a tenu longtemps lieu de science. Ils se sont naturellement attachés à la solide base du monde romain par la raison toute simple que, les ayant sauvés jusqu’ici, elle peut, elle doit les sauver encore.

Malgré l’aversion bien connue de la plupart des hommes pour la question des langues, je suis obligé d’y insister, puisque c’est, à le bien prendre, la meilleure partie de mon sujet. Je m’engage seulement à ne rien dire que d’indispensable sur ce point.

C’est déjà une grande victoire pour les Roumains qu’ils aient conquis leur droit de cité dans la science ; je veux dire qu’il est désormais impossible de traiter sérieusement des origines et de la formation de nos langues néo-latines, française, provençale, italienne espagnole, portugaise, sans y faire entrer le roumain comme un élément nécessaire.

Ce que les Moldo-Valaques désirent le plus est à moitié accompli, puisque leur idiome est déjà reçu et accueilli sans nulle contestation possible dans la famille latine occidentale. Tous les grands travaux de notre temps s’accordent sur ce point de départ. Dietz en Allemagne, Fauriel, Ampère en France, tous ont reconnu dans la langue moldo-valaque une sœur aînée plus ou moins ressemblante, mais une sœur légitime du français et des idiomes de notre Europe méridionale. Mon dessein n’est pas de revenir sur ce grand fait désormais élémentaire, qui est un des événemens accomplis de la science de nos jours. Pour sortir de ces notions générales, je voudrais montrer quels résultats a produits cette première intervention du roumain dans l’histoire comparée, quels résultats on peut attendre d’une étude plus suivie. Il resterait même à déterminer avec précision les conséquences irrésistibles qui naissent à mesure qu’on entre dans cette voie. Ce serait à la fois caractériser l’idiome roumain, qui n’a encore été montré qu’à sa surface, et en marquer l’importance. Nous essaierons de le faire ici brièvement, bien que le sujet exigeât des volumes.

Tant que le groupe de nos langues latines occidentales se présentait seul à l’observation, on comprend tout ce qui manquait à l’historien, au philosophe, pour arriver à des conclusions qui emportassent avec elles la certitude. Il manquait un terme de comparaison, afin de vérifier les analogies que l’on établissait entre nos divers idiomes. Dans ces conditions, on a vu des systèmes plus ou moins imaginaires s’élever, se soutenir, sans qu’il fût possible ni de les prouver, ni de les renverser. Ces systèmes se soutenaient par le seul