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— Ma mère ! s’écria la jeune fille.

Et elle tomba à genoux, les mains jointes, au pied du tombeau.

C’était pour elle comme si sa mère fût morte le jour même ; le coup l’avait renversée, et son cœur se fondait à la fois en sanglots et en prières. Gérard la regardait immobile, debout auprès d’elle ; puisque Thérèse priait, c’est que Thérèse était sauvée. Au bout de quelques minutes, elle leva les yeux et lui tendit la main.

— Le voile est déchiré, dit-elle… vous m’avez appris à pleurer ma mère… Merci !

Elle promena lentement ses regards dans le cimetière comme si elle y eût cherché une autre tombe. On voyait qu’une question était suspendue à ses lèvres ; deux fois elle ouvrit la bouche et regarda Gérard comme si elle allait parler, mais elle se tut, et, cachant son visage parmi les touffes de lierre, elle se prit à pleurer de nouveau. Ses larmes cette fois n’étaient pas données à sa mère.

Thérèse et Gérard quittèrent le cimetière au bras l’un de l’autre sans parler. Gérard sentait bien que son sort allait se décider, mais une sorte de pudeur l’empêchait d’interroger sa compagne ; il voulait laisser à sa douleur cette pauvre fille qui venait de retrouver sa mère et qui la trouvait morte.

Quand elle fut chez elle, Thérèse témoigna le désir d’être seule. Il semblait qu’elle voulût causer avec elle-même après ce long silence qu’elle avait gardé. — À demain ! dit-elle à Gérard. Et elle s’éloigna d’un air pensif en le laissant avec Mme de Lubner, à laquelle il raconta tout ce qui venait de se passer.

Gérard passa toute la nuit à se promener dans la ville, ramené toujours par une force invincible vers la petite maison qu’habitait Thérèse. Une lampe brillait derrière la fenêtre de cette chambre verte où elle n’avait pas voulu que Gérard entrât. On voyait son ombre passer devant les rideaux blancs ; une fois son visage se colla contre la vitre et y resta longtemps. Gérard, caché dans la nuit, la regardait. Que faisait-elle à cette heure dans cette solitude ? Y demandait-elle des conseils aux souvenirs qui l’habitaient ?

Le lendemain, Gérard arriva chez Thérèse à l’heure accoutumée. Il la trouva dans le salon, et toute en noir, avec Mme de Lubner. Il n’y avait plus ni robe blanche, ni rubans bleus. L’expression de son visage était changée. Thérèse était comme transfigurée. Gérard ne reconnaissait ni son sourire, ni son regard. L’accueil même qu’elle lui fit était si nouveau, que Gérard ne put en soutenir la réserve et l’apparente froideur. Excité par la fatigue et les rêves de la nuit précédente, il crut y voir la condamnation de ses espérances et courut au-devant de cet arrêt dont son cœur ressentait déjà les atteintes.

— Je viens vous faire mes adieux, dit-il d’une voix qui tremblait.