Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/378

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle, il y a comme un bâillon devant ma bouche, comme un voile devant mes yeux… Oh ! ils tomberont, il faudra qu’ils tombent !

Le hasard de leur promenade avait conduit Gérard et Thérèse à la porte d’un petit cimetière dans lequel Mme  van B… avait voulu être enterrée à cause des souvenirs de famille qui s’y rattachaient. Une tombe de marbre très modeste, avec une plaque sur laquelle son nom était gravé, indiquait la place où elle reposait. Quelques saules l’entouraient, et un gros lierre d’Écosse la couvrait de son feuillage d’un vert sombre. Gérard fit entrer Thérèse dans ce cimetière. À la vue des croix qui dressaient leurs bras noirs au milieu des herbes, Thérèse s’arrêta ; elle regarda autour d’elle, lut quelques noms inscrits sur le bois ou sur la pierre, et se serra contre Gérard.

— Pourquoi toutes ces croix, dit-elle, et pourquoi tous ces noms ? Ils me font peur.

Gérard la força de marcher avec lui.

— Ce sont les noms de ceux qui sont partis, dit-il, et ces croix sont pour avertir qu’ils ne reviendront plus.

Thérèse devint toute pâle. — Oh ! qu’il fait triste ici ! reprit-elle.

Gérard lui montra des doigts quelques-unes des tombes à demi cachées sous les saules et les cyprès. — Regardez, lui dit —il ; ces noms que vous voyez là ne vous rappellent-ils rien ?

Thérèse lut au hasard deux ou trois inscriptions, et tressaillit.

— Dorothée… Amélie… Augusta… mes amies d’autrefois ! Là Frédéric ! ici Joseph ! Voilà donc pourquoi je ne les voyais plus ! s’écria-t-elle.

De grosses larmes jaillirent de ses yeux.

— Pauvre Amélie ! je m’en souviens, ajouta-t-elle ; elle était si vive et si gaie !.. Et Dorothée qui m’aimait tant ! Parties toutes ensemble !… Ah ! pourquoi m’avez-vous amenée ici ?

— Et le bâillon ! et le voile ! Ce bâillon qui est sur votre bouche, ce voile qui est devant vos yeux, ne voulez-vous pas qu’ils tombent ? répondit Gérard.

C’était l’épreuve décisive, et il la faisait en tremblant. Tout en parlant, Gérard avait conduit Thérèse vers le tombeau de sa mère. Il la fit asseoir sur un coin du marbre, et lui prenant la main :

— Non, elles ne sont pas parties, dit-il ; celles que vous avez aimées sont là… elles sont mortes.

— Mortes ! ajouta Thérèse, mortes !…

Elle couvrit son visage de ses deux mains, comme pour ne pas voir la lumière qui se faisait autour d’elle ; elle se mit à pleurer ; on aurait dit que son cœur éclatait.

Mais Gérard, écartant ses mains, lui fit lire sous les feuilles du lierre le nom de Mme  van B…