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mains jointes et le visage blanc comme un cierge. Mme de Lubner pleurait la tête cachée entre les draps du lit. Une sueur froide mouilla les tempes de Gérard. — Morte ! s’écria-t-il.

Mme de Lubner releva la tête à ce cri et reconnut Gérard.

— Ah ! dit-elle en levant les mains au ciel, nous n’avons plus d’espoir qu’en vous !

Gérard comprit que Thérèse vivait encore. Il s’approcha du lit, et tomba à genoux ; mille sensations diverses agitaient son cœur ; il n’aurait jamais pu dire ce qu’il pensait. Il resta quelques minutes immobile, regardant Thérèse, qui ne bougeait pas. Il ne pouvait ni parler, ni pleurer : il étouffait.

Mme de Lubner lui raconta que Thérèse souffrait assez fréquemment de la tête depuis un mois ou deux. — Mais rien, ajouta-t-elle, ne pouvait faire croire qu’elle fût en danger de mort. Après votre départ, elle ne montra aucun changement dans son humeur et dans son genre de vie. Seulement elle ne souriait presque plus, et le coloris de ses joues ne reparut pas, comme si votre absence eût enlevé tout le printemps de son cœur et de son visage. Elle chantait souvent et se promenait beaucoup, dans le jardin surtout, où je l’entendais quelquefois causer seule avec animation et à demi-voix. Chaque fois qu’on frappait à la porte, elle tressaillait et faisait le mouvement de se lever pour courir, comme elle en avait l’habitude quand vous arriviez ; puis elle secouait la tête tristement et restait assise sans parler. Quand je prononçais votre nom en essayant de lui dire que vous reviendriez quelque jour, elle me regardait avec une expression de douleur si navrante que j’y renonçais. Je la surpris tout dernièrement travaillant avec une activité fiévreuse à un certain ruban de soie blanche sur lequel elle brodait en bleu deux initiales, un R et un T. — C’est ma ceinture de noces, me dit-elle avec un singulier sourire ; tu la lui donneras, s’il la demande. Elle ne travaillait jamais à cette broderie que sous le berceau, où elle vous attendait chaque soir du temps de votre séjour à D… Voyez, le T n’est pas achevé.

Et Mme de Lubner tira d’une boîte à ouvrage, pour le montrer à Gérard, un ruban sur lequel l’aiguille était encore attachée.

— Un matin que j’avais laissé Thérèse au salon, reprit Mme de Lubner, j’entendis tout à coup un grand cri. J’accourus et je trouvai Thérèse renversée, toute blanche, raide et les yeux fixes. On l’emporta dans sa chambre, et on eut beaucoup de peine à la faire revenir ; encore ne fut-ce que pour peu d’instans. Elle demanda une plume et du papier, vous écrivit et cacheta la lettre en priant qu’on la jetât à la poste sans tarder. Le messager partit, et elle le suivit des yeux jusqu’à la porte, après quoi elle laissa retomber sa tête