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couvert ; elle n’y voulut jamais consentir, et il en résulta une querelle, à la suite de laquelle et dans un mouvement de dépit Mlle Clotilde lança au feu l’étui et le portrait, Gérard se jeta à genoux devant le foyer, et écarta les tisons pour sauver la miniature, s’il en était temps encore. Il trouva la petite plaque d’ivoire un peu endommagée par l’action du feu ; mais l’image de Thérèse, sauf quelques légères atteintes, n’avait que faiblement souffert. Gérard porta cette image à ses lèvres avec un mouvement passionné ; puis, se tournant vers la danseuse, il lui montra la porte avec un visage si terrible, qu’elle sortit précipitamment sans répondre.

Tous les souvenirs de D… avaient afflué vers son cœur avec violence, comme les eaux d’une rivière chassées de l’écluse. Deux jours après cette scène, Gérard reçut une lettre qui portait le timbre de D… Il l’ouvrit avec un secret effroi, et y trouva ces mots :


« Thérèse à son ami Rodolphe,

« Je suis bien malade, et il me semble que je vais mourir. Si vous vous souvenez de celle qui vous a tant aimé, hâtez-vous ; cela m’attristerait de m’en aller avant de vous avoir embrassé. Si je meurs sans vous avoir revu, mon cœur vous enverra son dernier soupir. »

Gérard eut comme un vertige. Tout ce que Thérèse lui avait dit sur l’influence mystérieuse qu’elle attribuait au portrait se retraça dans son esprit en caractères de feu. — Je ne la reverrai plus ! je ne la reverrai plus ! répétait-il en retournant la lettre dans tous les sens.

Le soir même, il partait pour l’Allemagne à moitié fou. S’il avait rencontré Clotilde, il l’aurait tuée. Dans l’espèce d’égarement où l’avait jeté cette lettre, il attribuait à cette fille la maladie qui mettait en si grand péril l’existence de Thérèse. Dès qu’il fut arrivé à D…, il courut au petit jardin. Comme il passait devant l’église des jésuites, il entendit le glas d’une cloche ; il frissonna de la tête aux pieds.

— Ah ! mon Dieu ! dit-il, Thérèse est morte !

Il précipita sa course, et toucha enfin à cette porte verte qu’il avait si souvent franchie le cœur joyeux : il la poussa ; le jardin était désert. Il le traversa en courant et entra dans la maison.

— Ah ! monsieur, lui dit un vieux domestique, montez vite !

Gérard grimpa l’escalier aussi rapidement que le lui permettaient ses jambes, qui tremblaient sous lui ; il ne comprenait pas le sens de cette exclamation. Était-il arrivé seulement pour recevoir le dernier soupir de Thérèse, ou l’attendait-on pour la sauver ?

Quand il fut entré dans la chambre de Thérèse, un pitoyable spectacle frappa ses yeux. La pauvre fille était couchée sur son lit, les