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faire dans laquelle Gérard avait engagé presque toute sa fortune était en grand péril. S’il ne voulait pas tout perdre, il devait se hâter et revenir à Paris sur-le-champ. Cette nouvelle fixa les irrésolutions de Gérard, comme un poids fait tout à coup pencher l’un des plateaux d’une balance. Thérèse était prévenue de son départ. Cette ruine dont il était menacé ne lui permettait plus, en supposant qu’il y eût jamais pensé, de demander la main d’une héritière aussi riche que l’était la rêveuse fille. Pouvait-il en outre abuser de l’erreur où la folie de son cœur la jetait, et l’épouser au nom de Rodolphe ? Gérard se dirigea vers le jardin, bien décidé cette fois à dire à Thérèse qu’il partirait le lendemain.

Dans sa précipitation, et comme un homme qui veut prendre un parti brusquement, dans la crainte d’en changer s’il hésite, il avait oublié l’heure, et arriva chez Thérèse au moment où elle était encore dans son sommeil léthargique. Sa présence la réveilla en sursaut. Elle se leva d’un bond et se jeta dans ses bras. — Ah ! dit-elle, je savais bien que vous partiriez, mais je ne croyais pas que ce fût si tôt !

Gérard la ramena sur un fauteuil, où elle resta quelques minutes sans parler, la tête appuyée sur l’épaule du jeune homme. Il sentait les pulsations de son cœur, qui battait à coups pressés.

— Adieu donc ! reprit-elle enfin, adieu !

— Mais je reviendrai, se hâta de répondre Gérard, je reviendrai bientôt.

Thérèse secoua la tête et le regarda bien en face. — Vous, jamais ! dit-elle avec force.

— Mais pourquoi ! Croyez-vous donc que je puisse vous oublier ?

— Je ne sais pas si vous m’oublierez, mais bien certainement vous ne reviendrez pas.

Elle laissa tomber sa tête sur sa poitrine et demeura quelque temps dans un accablement profond, les mains jointes sur ses genoux.

Gérard un instant se demanda s’il ne ferait pas bien de renoncer à Paris, de dévouer sa vie à cette charmante fille, de l’emmener dans quelque lieu désert, et d’en faire sa femme quand à force d’amour et de dévouement il l’aurait conquise à la raison ; mais si elle l’aimait, n’était-ce pas un autre qu’elle aimait en lui ?

— Au moins, dit Thérèse en l’attirant vers elle, aimez-moi toujours. Cela ne vous fera pas grand’peine et me fera grand bien.

Elle prit des ciseaux et coupa les rubans bleus qu’on voyait sur sa robe.

— Vous parti, poursuivit-elle, personne ne me verra plus dans cette parure… Il me semble que je suis veuve !

Mme de Lubner sortit de la chambre pour ne pas laisser voir à Thérèse qu’elle pleurait.