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Elle se tut un instant, parut se recueillir, puis raconta à Gérard son histoire et celle de Thérèse.

La vieille dame s’appelait Mme de Lubner ; Thérèse était sa petite-nièce. En fait de parens, Thérèse n’avait qu’elle au monde avec des cousins éloignés qu’elle n’avait jamais vus et qui habitaient Berlin. La jeunesse de Thérèse s’était passée à la campagne, entourée de toute l’aisance et du luxe que donne une grande fortune ; les meilleurs maîtres avaient aidé à cultiver les heureuses dispositions de son esprit. Quant à son caractère, il était d’une douceur et d’une égalité qui ne se démentaient jamais. On remarquait seulement en elle un singulier penchant à la rêverie et au merveilleux.

Thérèse avait à cette époque un cousin germain du nom de Rodolphe, avec lequel s’était écoulée une partie de son enfance ; elle le revit à l’âge de seize ans, et ils vécurent ensemble dix-huit mois ou deux ans, après lesquels on les fiança. La vie de Thérèse était alors comme un frais et limpide ruisseau qui coule entre deux rives fleuries, sans bruit et sans murmure. Le père, qui avait des idées arrêtées sur les questions d’argent, voulut, aussitôt après ces fiançailles, que Rodolphe voyageât, prît une teinture du commerce, et, à défaut de fortune acquise, se mît en position d’en gagner une par son industrie. Le jeune homme partit donc pour l’Amérique, où l’un des amis de M. van B… avait de grands établissemens.

À peu de temps de là, M. van B… fut emporté en trois jours par une attaque d’apoplexie. On trouva dans ses papiers une lettre par laquelle il enjoignait à sa femme de suivre en tous points les instructions qu’il lui avait données pour le mariage de sa fille. Cette lettre arrêta Mme van B…, qui déjà s’apprêtait à écrire à Rodolphe pour le faire revenir. Elle se résigna, ainsi que Thérèse, à attendre le terme de quatre ans fixé par le défunt.

Rodolphe écrivait souvent, et ses lettres témoignaient des progrès qu’il faisait dans la science des affaires et de son application à obéir aux vœux de M. van B… Thérèse touchait à sa vingtième année ; déjà plus de la moitié du temps prescrit s’était écoulée lorsqu’on apprit un soir que Rodolphe était mort de la fièvre jaune à la Nouvelle-Orléans. La fatalité voulut que Thérèse fût instruite brusquement de cette mort. Elle tomba par terre en recevant la nouvelle, et resta toute une nuit et tout un jour sans donner signe de vie. Toute la maison tremblait à la pensée du désespoir qu’elle montrerait à son réveil. Quand elle ouvrit les yeux, Thérèse sourit ; elle passa les mains sur son front et s’informa du motif qui faisait que tant de personnes étaient réunies autour d’elle. La tranquillité de ce réveil fut plus effrayante que n’aurait pu l’être l’explosion de sa douleur. Tout le monde la regardait avec des yeux épouvantés. Elle demanda pour-