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nait stupide et regrettait beaucoup la fantaisie qui l’avait poussé à saluer Thérèse. Cette impossibilité où il était de dissiper l’erreur dans laquelle elle était tombée le gênait horriblement ; il voulait parler et ne savait que dire. Il pensait quelquefois que la petite Allemande était atteinte de folie, et le regard que sa vieille compagne avait jeté sur lui le maintenait dans cette idée ; mais quand il examinait Thérèse à la dérobée, rien dans l’expression de son visage calme et souriant, rien dans le vif et doux rayon de ses yeux ne venait confirmer cette supposition. Il était fort perplexe et craignait de trébucher à la première question que Thérèse ne manquerait pas de lui adresser. Il se taisait donc et se contentait de maudire cette fâcheuse ressemblance qui donnait à un Français la figure d’un Prussien.

La vieille dame, qui restait silencieuse, le nez dans un gros livre qu’elle semblait lire attentivement, le tira tout à coup d’embarras. — Ma chère enfant, dit-elle, voilà, je crois, le moment de nous retirer : il est cinq heures.

À ces mots, et sans répliquer, Thérèse se leva toute droite ; elle ajusta son mantelet et tendit de nouveau la main à Gérard. — À demain, dit-elle ; je vous ferai voir mon jardin. — Elle s’éloigna d’un pas tranquille au bras de la vieille dame, se retourna au coin de l’avenue et disparut, laissant Gérard tout étourdi de la rencontre qu’il venait de faire et de la conversation qui l’avait suivie.

Il rentra à l’hôtel fort troublé et fort indécis à l’endroit du rendez-vous que Thérèse lui avait donné pour le lendemain. Devait-il y aller ou ne plus reparaître dans le parc ? Mais ne plus y reparaître, c’était se priver de la musique militaire qui faisait sa principale, presque son unique distraction. Sa curiosité en outre était excitée. Naturellement il questionna Samuel pour obtenir quelques renseignemens sur Mlle Thérèse ; mais Samuel était originaire de Cologne, il n’habitait D… que depuis deux ou trois mois, et ne connaissait de la ville que les voyageurs qui la traversaient.

Gérard s’endormit sans avoir rien résolu, et vit en rêve les dossiers de sa succession entourés de rubans bleus avec des couronnes de clématites et son brave homme de loi qui dansait en robe blanche. Une visite matinale le tira de ces extravagances. Le bruit de sa porte qu’on poussait lui fit ouvrir les yeux, et il vit la vieille dame que Samuel introduisait dans sa chambre avec un sourire malin. Elle pria Gérard de ne pas se déranger, et s’assit sur un fauteuil au pied du lit.

— Mon Dieu ! monsieur, dit-elle à Gérard quand ils furent seuls, ma visite a lieu de vous surprendre ; mais je tenais à vous expliquer certaines choses que sûrement vous n’avez pas comprises. Peut-être même, après que vous m’aurez entendue, aurai-je un service à vous demander.