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expéditions sans conséquences sérieuses ; L’habileté avait repris le terrain qu’elle avait dû céder à l’enthousiasme » et Jeanne, devenue une étrangère à côté de la royauté qu’elle avait faite et qu’elle adorait, commença auprès de Charles VII le supplice qui devait s’achever sur le bûcher. Ayant toutes les apparences du commandement et toutes les réalités de la servitude, ne tenant plus à la vie que par le devoir, Jeanne s’élance à Compiègne sur les bataillons ennemis, et sans croire à une trahison que toutes les vraisemblances repoussent malgré l’assertion de quelques historiens, il est impossible de douter de la lâche satisfaction avec laquelle fut accueillie jusque dans le camp royal l’annonce de la prise de l’héroïque jeune fille, tombée aux mains d’un chevalier bourguignon pour être vendue à l’Angleterre[1].

Le plan de cette étude nous interdit de monter avec Jeanne tous les degrés de son long calvaire, et de la suivre durant une année de forteresse en forteresse, de cachot en cachot, de juridiction en juridiction. Aucun commentaire ne suppléerait d’ailleurs à l’impression que laisse la lecture des documens édités par M. Quicherat. On demeure écrasé sous ces réponses d’une profondeur naïve et méprisante, comme celles de Joas à Athalie. Les plus hauts mystères de l’ordre psychologique et divin y sont abordés avec la sincérité de l’enfance, la hauteur du génie et la fierté du patriotisme, tempérée par un adorable esprit de soumission et de simplicité.

L’issue du procès ne saurait étonner personne, quelque monstrueuse que fût une telle poursuite contre une prisonnière que l’Angleterre n’avait point faite et qu’elle s’était procurée à prix d’argent. L’évêque de Beauvais, irréprochable au point de vue des mœurs et de la doctrine, fut jusqu’au dernier jour de sa vie un homme de parti aussi convaincu que passionné ; ses assesseurs, intimidés d’ailleurs par les menaces des Anglais, appartenaient presque tous à la faction bourguignonne. Ces hommes-là avaient à juger une personne dont l’intervention venait de rendre la France aux Armagnacs, ils avaient vu pour la plupart se consommer sous leurs yeux les faits prodigieux dont on les appelait par leur jugement à définir doctrinalement la nature. Pour eux, ces prodiges étaient manifestes, car bien loin que le caractère miraculeux en soit infirmé au procès, tout le travail des interrogateurs, et particulièrement de l’évêque président, consiste à mettre ce caractère surnaturel en dehors de toute contestation. Les miracles de Jeanne sont reconnus avec plus d’empressement par ses juges que par elle-même. Dès-lors la seule

  1. Voyez, entre mille autres preuves, la lettre de l’archevêque de Reims aux habitans de sa ville diocésaine après la catastrophe de Compiègne. Collect. des Procès, t. V, p. 168.