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il faut admettre celles-ci, sur les solennelles affirmations qui les constatent, ou il faut brûler toutes les bibliothèques et fermer tous les tribunaux.

Jeanne accomplit si visiblement une mission, elle est si manifestement soumise à une force étrangère à elle-même, que tout lui est commandé jusque dans les moindres détails de son œuvre. Elle semble lire dans un rituel dont elle accomplit les plus minutieuses prescriptions aussi aveuglément qu’un lévite de la loi mosaïque. Elle ne veut et ne peut combattre qu’avec un certain glaive dont ses voix lui avaient révélé l’existence, et qui est caché sous terre près de l’autel de Sainte-Catherine de Fierbois. Ce glaive sera reconnu aux cinq croix qui en ornent la lame, encore que celle-ci soit recouverte d’une épaisse couche de rouille. On écrit donc au curé de cette paroisse ; un armurier de Tours est envoyé pour opérer des fouilles d’après les indications de la pucelle, et au milieu d’un amas de vieilles armes enfouies sous les dalles de la chapelle, le glaive est trouvé dans une position telle que la découverte exclut jusqu’à la possibilité même d’une fraude[1]. Ici les témoignages sont tellement concordans, qu’il n’est assurément aucun jury qui ne rendît sur l’authenticité de cette révélation un verdict affirmatif.

En même temps que Jeanne reçoit de la main dont elle est l’instrument docile le glaive destiné à délivrer la France, elle reçoit l’étendard qu’elle portera pour n’avoir pas à verser dans les combats le sang des hommes. Sur cet étendard devra être peinte l’image du Sauveur et celle de sa mère, avec des couleurs et des inscriptions déterminées, et les indications sont ici tellement sacramentelles, que les juges de Jeanne arguèrent avec persistance au procès de la précision de ces emblèmes pour transformer cet étendard en un talisman enchanté ; mais l’admirable piété de l’accusée confond dans des interrogatoires réitérés tous les soupçons et toutes les colères. Jeanne expose sans dogmatiser jamais : ce n’est point une révélatrice qui vient armée de sa force propre changer la face des nations, c’est une vierge ignorante et soumise qui, à l’exemple de celle de Nazareth, accomplit l’œuvre de Dieu sans plus la comprendre que l’expliquer[2].


V

Enfin tous les mauvais vouloirs sont vaincus et tous les ajournemens épuisés. Jeanne est mise par le roi en demeure de réaliser ses

  1. Procès de condamnation, t. I r, p. 76, 235 ; Chronique de Jean Chartier, édition Quicherat, t. IV, p. 54 ; Journal du Siège d’Orléans, ibid., p. 129 ; Chronique de la Pucelle, p. 220.
  2. Voyez l’interrogatoire du 17 mars, traduction du greffier Manchon, Proc. de condamn., t. Ier, p. 182.