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IV

Personne n’ignore que la pucelle, admise en présence du roi, alla droit au monarque, quelques efforts que fît celui-ci pour donner le change à la jeune fille en se cachant dans la foule des seigneurs, plus richement vêtus, qui composaient sa cour. M. Guido Goerres a tracé d’après les chroniques contemporaines, et en particulier d’après celle de Jean Chartier, un tableau complet de cette grande scène dans lequel l’épreuve essayée sur Jeanne est exposée avec tous ses détails. Ces faits, attestés par l’unanimité des historiens du XVe siècle ; reçoivent d’ailleurs une confirmation irrécusable des témoignages judiciaires consignés à l’enquête, et ne sont plus de nature à être contestés[1].

On sait également que Jeanne répétait chaque jour à Vaucouleurs qu’arrivée devant le roi, un signe lui serait à l’instant donné pour contraindre le monarque à l’accueillir et à croire en elle. Vade audacter, lui répétaient ses voix ; quandò tu eris ante regem, ipse habebit bonum signum de recipiendo te et credendo tibi[2] Il est désormais démontré que ce signé consistait dans un secret dont le mot a été révélé à la postérité par les témoignages les plus concordans en même temps que les moins concertés. Nous connaissons en effet ce mystère historique, d’un côté par la déclaration du frère Jean Pasquerel, le confesseur et l’ami le plus intime de la pucelle, qui précise en quelques paroles le secret de Jeanne, en affirmant l’avoir reçu de sa propre bouche, en dehors de son ministère religieux ; nous le connaissons, de l’autre, par l’aveu qu’en fit longtemps après le roi Charles VII au sieur de Boisy une nuit que ce brave chevalier avait été admis, selon l’usage du temps, à l’honneur de partager la couche de son maître.

Le mystère, dont la divulgation produisit sur Charles VII l’effet foudroyant signalé par tous les historiens, était le mot même de sa destinée et la suprême constatation de son bon droit. Un jour que le prince, telle est la version textuelle faite par lui-même au sire de Boisy, élevait à Dieu, au fond de son oratoire de Loches, un cœur plein d’angoisses et de découragement, il lui arriva de demander au ciel, dans une prière fervente, quoique toute mentale, de lui faire savoir avec certitude s’il était bien du sang des rois, et de maintenir dans ce cas sur son front la couronne de ses ancêtres, implorant, s’il n’en était point ainsi, une retraite en Écosse ou en Espagne pour lui-même et pour les serviteurs demeurés fidèles à sa triste

  1. Lisez surtout la déposition d’un témoin oculaire, Simon-Charles, qualifié dans l’enquête président de la cour des comptes. (Proc. de réhab., t. III, p. 114.
  2. Interrogatoire de la pucelle, X martii. (Proc. de condamn., t. Ier, p. 113.