Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/326

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Armagnacs avaient été conduits par l’entraînement des circonstances et des passions à opposer au dauphin un prétendant étranger, il ne leur avait pas été donné de se transformer eux-mêmes dans leurs plus intimes instincts. Des froissemens quotidiens révélaient l’incompatibilité de cette royauté importée avec le génie français, et d’autre part l’esprit britannique, rebelle à toute assimilation, abordait de front tous les obstacles que la prudence aurait commandé de tourner.

Le duc de Bedford, régent de France pour le jeune Henri VI, était un prince d’une habileté consommée, mais ses efforts n’empêchaient point la bourgeoisie et le clergé de se lasser d’un gouvernement formaliste et hautain que les vues divergentes des princes de Lancastre laissaient sans unité dans ses plans et sans ressources pécuniaires dans ses besoins. Lorsque, pour les maintenir sous sa bannière, Bedford distribuait aux seigneurs d’Angleterre les duchés et les seigneuries du royaume, les grands qui avaient adhéré au traité de Troyes étaient conduits à se demander si, en donnant en France un tel pied à l’étranger, ils avaient aussi bien servi leurs intérêts que leurs haines. Dans les temps de révolution, c’est le plus souvent par les exigences de ses alliés qu’on arrive à se rapprocher de ses anciens adversaires. Ainsi agit d’abord le duc de Bretagne, qui, sans servir Charles VII, avait fini par se détacher des Anglais. Le duc de Bourgogne inclinait vers le même parti, et ces dispositions, bien que très vagues encore, étaient fort naturelles. Si la maison de Bourgogne avait mis le feu dans Paris pour y jouer le premier rôle, en présence du régent anglais son chef n’était plus que le second personnage du royaume. Aussi, malgré le lien de famille qui rattachait ces deux princes, le chef du parti bourguignon n’était plus fidèle à l’Angleterre que par fidélité à sa propre faction, de telle sorte que si le parti de Charles VII continuait à demeurer impopulaire et impuissant, la royauté de son rival commençait à son tour à devenir à charge à la plupart de ceux qui l’avaient faite.

Comment rétablir un lien entre le roi légitime et la nation, étrangers l’un à l’autre ? comment relever celle-ci du profond découragement où l’avaient jetée tant de misères ? Que fallait-il pour ranimer le cœur de ce pauvre peuple qui depuis quinze années « ne connoissoit que feux, volleries, pilleries, carnages, et en brief tous les maux de ces furieux temps[1], » et pour que, se relevant du fond de l’abîme, il retrouvât tout à coup sa foi dans ses destinées ? Il fallait que le cours des événemens échappât, par une péripétie soudaine, aux mains qui ne tentaient pas même de les diriger, et qu’une vision radieuse, illuminant toutes les ténèbres, dissipât et les incertitudes du prince sur son propre droit et celles de la nation sur son

  1. Etienne Pasquier. Recherches de la France, liv. V, ch. 6.