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de là, il le méprisait. La scène du presbytère était toujours présente à ses yeux, et quand il voyait le renégat s’en aller chaque dimanche à la messe, je ne sais quel dégoût s’emparait de lui, pareil à celui qu’inspirerait la vue d’une bassesse ou d’un crime. Non, certes, ce n’était pas dévouement à son patron, et toutefois une force irrésistible l’attachait à la ferme. Était-ce une curiosité instinctive ? était-ce le désir de débrouiller les émotions incohérentes de son âme ? était-ce seulement un besoin impérieux de se dévouer à la jeune fille qu’il avait vue pleurer et souffrir pour sa foi ? Ces divers sentimens étaient mêlés ensemble, mais le dernier dominait tout. Pendant ces quatre années, Wojtêch, si pieux jusque-là, n’alla pas une seule fois à l’église ; il lui semblait que Térezka (c’est le nom de la jeune Israélite) lui saurait gré d’agir ainsi. Vous le voyez, Wojtêch a beau ne pas se l’avouer à lui-même, il est à moitié Juif ; non, je me trompe, il n’est pas Juif, il ne sait pas le premier mot des dogmes des rabbins : ce sont les larmes de Térezka blessée dans sa foi qui ont ébranlé et transformé son âme, il est de la religion de ceux qui souffrent. Heureux le pauvre Wojtêch s’il se rendait compte des sentimens qui l’animent ! il oserait s’en tenir à ces bienfaisantes paroles de l’Évangile qui condamnent surtout le méchant et l’impie, sans s’occuper des dogmes positifs et des formalités extérieures. Le divin auteur du sermon sur la montagne ne répand-il pas sur tous ceux qui pleurent des bénédictions ineffables ? Voilà au fond la doctrine de Wojtêch, mais Wojtêch s’est perdu au milieu des naïves contradictions de sa pensée. Au nom des sentimens évangéliques dont son cœur est rempli, il en vient à s’indigner sérieusement qu’un Juif puisse changer de religion, et quand Térezka, touchée de son amour, veut se faire chrétienne aussi pour l’épouser, le malheureux la repousse avec fureur.

En racontant ces scènes de folie et de violence, le pauvre valet de charrue ne peut contenir ses larmes. « Depuis lors, dit-il, je n’ai pas revu Térezka. Je suis venu travailler dans cette ferme, j’ai essayé de chasser tous ces souvenirs ; mais un jour, — c’était environ deux ans après ma rupture avec la Juive, — j’appris qu’elle était morte. On ajoutait qu’à sa dernière heure elle avait demandé un prêtre catholique et reçu le sacrement du baptême. Cette nouvelle me bouleversa, car on ne ment guère sur un lit de mort, monsieur l’abbé. Si Térezka au moment de paraître devant Dieu a persisté dans les sentimens qui me semblaient chez elle une impiété et un mensonge, c’est donc moi qui ai eu tort de la repousser avec injure ? O mon Dieu, mon Dieu ! si Térezka avait raison ! Cette pensée me déchirait l’âme. J’essayai de me soulager par la confession, mais les prêtres auxquels je m’adressai me renvoyèrent comme un fou. L’un d’eux pourtant, ému de pitié, m’a ordonné une pénitence qui devait mettre