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famille juive et brisant les liens du foyer ; l’histoire de Jaikewet de Resèle nous montrait l’obstination invincible des Juifs d’Allemagne, luttant contre des lois iniques ; enfin le Colporteur, Trendeln, la Juive perdue mettaient dramatiquement en scène les rapports du christianisme de nos jours avec les croyances hébraïques et plaidaient au nom de l’Évangile en faveur d’une race opprimée. Encore une fois, M. Kompert ne s’était pas annoncé comme un romancier de profession, on sentait qu’il avait charge d’âmes. — Poursuivez, lui disions-nous, poursuivez cette enquête et cette prédication. Continuez d’observer avec un soin religieux, avec une sympathique philosophie, ces naïves peuplades qui vous ont révélé tant de choses, et dont vous pouvez à votre tour préparer l’émancipation et aplanir les voies !

M. Léopold Kompert ne s’est point hâté. On a pu craindre un instant que ce premier succès n’eût épuisé les forces ou ralenti l’ardeur du jeune écrivain ; non, il étudiait en silence, il observait le développement des idées nouvelles chez les hommes du ghetto, il suivait le conseil que j’avais osé lui adresser et travaillait à l’émancipation de sa race. Le récit que vient de publier M. Kompert est la suite logique des touchantes narrations que je rappelais tout à l’heure. Après la Juive perdue et le Colporteur, il faut lire l’histoire de Rebb Schlome. Heureux le conteur dont les études sont attendues avec cette légitime impatience ! Heureux et bienvenu, ce roman qui se rattache à de telles œuvres et continue une entreprise si noble ! Ne dites pas que ces détails sont loin de nous, que cette question des Juifs nous touche peu, que ce sont là des événemens bien humbles et accomplis sur un théâtre ignoré : qu’importe, si cet obscur épisode appartient à l’histoire religieuse de notre XIXe siècle ? Ouvrons-le, ce livre, avec l’attention qu’il mérite. Nous avions laissé ces pauvres Juifs de Presbourg au milieu d’une crise inquiétante ; voici le tableau qui se déroule devant nous, et les plus graves questions qui puissent préoccuper l’humanité sont engagées dans ces rustiques aventures.

Que s’est-il donc passé depuis que M. Kompert écrivait la Nouvelle Judith et les Enfans du Randar ? Un grave événement en vérité. M. Kompert publiait son premier volume en 1848, et le second paraissait l’année suivante. Or, cette année même, en 1849, le jeune empereur François-Joseph, au milieu des réformes qui signalaient son avènement au trône, décrétait l’émancipation des Juifs. Ces lois odieuses qui pesaient sur les héros de M. Kompert, les voilà abolies. Le pauvre Jaikew ne serait plus obligé d’attendre vingt et un ans autorisation d’épouser Resèle ; il ne serait pas traduit en justice pour avoir perdu patience un beau jour et s’être marié devant le rabbin sans avoir le droit d’être chef de famille ; la chaste Resèle ne serait pas forcée d’aller à Vienne se jeter aux pieds de l’empereur pour obtenir que son fils ne soit pas un bâtard aux yeux de cette loi sans