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épouse, une sainte veuve, la protectrice et l’amie de Bossuet, le charme de quelques sociétés d’élite, l’objet constant des respects affectueux de Louis XIV, surtout une digne élève de saint Vincent de Paul, l’asile fidèle des malheureux et des opprimés, le recours assuré de tous ceux qui souffraient, particulièrement des filles et des femmes dans leurs périlleuses misères, n’ayant retenu de son ardeur et de sa vivacité naturelle qu’une bonté presque passionnée et ce feu sublime de la charité chrétienne qui lui mérita le beau nom de mère des pauvres.


Posons la plume, et mettons fin à ces peintures d’une société à jamais évanouie, et de femmes que l’œil des hommes ne reverra plus. Encore quelques pages sur Mme de Longueville, et nous aurons dit adieu à ces rêves de nos heures de loisir, que caressa notre jeunesse, et qui nous ont accompagné jusqu’au terme de l’âge mûr. Nous l’avouons : nous ne quittons pas sans regret cet aimable et généreux commerce. Soyez bénies, en nous séparant, muses gracieuses ou sévères, mais toujours nobles et grandes, qui m’avez montré la beauté véritable et dégoûté des attachemens vulgaires. C’est vous qui m’avez appris à fuir les sentiers de la foule, et, au lieu d’élever ma fortune, à tâcher d’élever mon cœur. Grâce à vos leçons, je me suis complu dans une pauvreté fière ; j’ai perdu sans murmure tous les prix de ma vie, et j’ai été trouvé fidèle à une grande cause, aujourd’hui abandonnée, mais à laquelle est promis l’avenir. Soutenez-moi dans les épreuves suprêmes qui me restent à traverser. Contemporaines de Descartes, de Corneille, de Pascal, de Richelieu, de Mazarin, de Condé, Anne de Bourbon, Marie de Rohan, Marie de Hautefort, Marthe du Vigean, Louise de La Fayette, sœur Sainte-Euphémie, âmes aussi fortes que tendres, qui, après avoir jeté tant d’éclat, avez voulu vous éteindre dans l’obscurité et dans le silence, donnez-moi quelque chose de votre courage, enseignez-moi à sourire comme vous à la solitude, à la vieillesse, à la maladie, à la mort. Disciples de Jésus-Christ, joignez-vous à son précurseur sublime pour me répéter, au nom de l’Évangile et de la philosophie, qu’il est bien temps de renoncer à tout ce qui passe, et que la seule pensée qui désormais me soit permise est celle de quelques travaux utiles, du devoir et de Dieu.


V. COUSIN.