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de son langage ; il renouvela la manœuvre bien vulgaire, mais toujours sûre, que Richelieu avait jadis employée avec succès auprès de Louis XIII : il fit parvenir aux oreilles de la reine, en les exagérant, les propos qui échappaient à Mme de Hautefort. Anne d’Autriche, qui n’avait pas déjà été très charmée des libres discours que lui tenait sa dame d’atours, l’excusait un peu dans la pensée que ces discours ne s’adressaient qu’à elle ; mais un blâme public l’offensa et l’irrita. Mazarin eut grand soin d’entretenir cette irritation, que Mme de Hautefort ne s’appliqua pas à désarmer, et elle apprit bientôt à ses dépens combien était vraie et profonde la maxime du cardinal : qui a le cœur a tout, qui n’a pas le cœur n’a rien. Elle perdit le cœur de la reine, et ne se soutint plus que par le souvenir de ses anciens services, par les nombreux et puissans amis, qu’elle avait à la cour et qui la défendaient hautement.

Mme de Hautefort en effet n’était pas seulement l’idole des Important et du parti des saints ; elle était adorée de toute la cour, des plus petits et des plus grands, n’étant jalouse de personne, obligeante et même affectueuse à tout le monde. Ne demandant rien pour elle-même, elle demandait volontiers pour les autres, et c’était à elle que chacun s’adressait pour obtenir quelque grâce. Plus tard, sa charité et sa bienfaisance se déployèrent avec éclat ; mais déjà à cette époque de sa vie elle était libérale bien au-delà de sa très médiocre fortune. Elle cédait généreusement aux femmes de la reine tous les menus profits de sa charge. La Porte, devenu valet de chambre du roi et une sorte de personnage, lui était à ce point dévoué, que pour elle, dit Mazarin, il se serait coupé les veines. Sa beauté aussi était une puissance dont elle n’abusait pas, mais qui lui faisait bien des serviteurs. Qui aurait pu s’empêcher d’aimer une créature aussi belle, aussi pure, aussi bonne ? Il n’y avait pas jusqu’au petit roi, alors âgé de cinq ou six ans, qui ne témoignât pour elle le goût le plus vif, attiré à son insu par le même charme qui avait captivé son père, et par cet amour instinctif de la beauté, la faiblesse des grands cœurs, qu’un jour Louis XIV devait porter si loin. « Le roi, encore fort jeune, avoit une extrême amitié pour Mme de Hautefort, dit la pieuse personne qui nous a laissé l’histoire de sa vie[1] ; il l’appeloit sa femme. Quand elle étoit incommodée, il se faisoit mettre sur son lit et jouoit avec elle, il faisoit collation dans sa chambre ; enfin il l’aimoit autant qu’un enfant de son âge pouvoit aimer[2]. »

Mais Mme de Hautefort excita en 1643, comme auparavant, de plus

  1. Vie imprimée, p. 158.
  2. Un père jésuite d’une imagination galante, le père Lemoine, s’est plu à consacrer le souvenir de cette passion précoce et innocente dans une devise assez curieuse. On y voit un phénix sur un brasier allumé aux rayons avec ces mots : Me quoque post patrem. Au bas, les armes de Mme de Hautefort, avec cette explication :
    Mon cœur est à peine formé,
    Et sur les cendres de mon père
    Déjà de ses rayons mon cœur est allumé.
    De l’Art des Devises, par le père Lemoine ; Paris, chez Cramoisi,1666, in-4o, p. 281.