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pour elle La Rochefoucauld. Elle inspira le même sentiment à l’impétueux Charles IV, duc de Lorraine, et le triomphe de sa chaste beauté est d’avoir un moment transformé l’amant de Mme de Chevreuse, de Béatrice de Cusance et de Marianne Pajot, en un héros de l’Astrée et du grand Cyrus. Le duc l’aima sans oser se déclarer autrement que par une galanterie empruntée aux romans à la mode. Dans un combat, soit à Nortlingen, soit plutôt à Tudelingen, où Charles IV déploya de grands talens militaires couronnés par la victoire, ayant fait prisonniers deux gentilshommes français dont l’un avait servi avec le frère de Mme de Hautefort, il lui demanda s’il connaissait cette dame. Ce gentilhomme ayant répondu qu’il l’avait vue très souvent à la cour, Charles leur dit à tous les deux : « Je vous donne la liberté, et ne veux pour votre rançon que l’honneur de savoir que vous avez baisé de ma part la robe de Mme de Hautefort. » Ce qui fut ponctuellement exécuté. Elle avait eu un peu plus de peine à réprimer la violente passion du brillant marquis de Noirmoutiers, de la maison de La Trémouille. Il est assez piquant qu’elle ait tourné la tête à Chavigny, le confident et le disciple de Richelieu, et malgré toute sa modestie et sa retenue, elle ne put s’empêcher de troubler le cœur du sage et noble marquis depuis duc de Liancour, le mari de Jeanne de Schomberg. Sous Louis XIII, dans un moment où il croyait qu’il allait perdre sa femme, au milieu de la douleur la plus sincère, M. de Liancour avait laissé pénétrer dans son âme une secrète espérance qu’il n’avait pu contenir en présence de celle qui l’aurait pu consoler, et il l’avait trahie par quelques mots embarrassés que Mme de Hautefort avait accueillis avec un air et un silence qui avaient suffi à faire rentrer en lui-même le noble duc ; mais l’imprudente déclaration avait été entendue et rapportée au roi, qui, alors dans toute la recrudescence de sa passion pour Mme de Hautefort, ne pouvait souffrir qu’on lui adressât aucun hommage. M. de Liancour courait risque d’être renvoyé, et toute la cour était émue et inquiète. Mme de Hautefort se conduisit en cette affaire avec tant de modestie, de sagesse et d’esprit, que la jalousie de Louis XIII s’apaisa, et que M. de Liancour changea peu à peu ses premiers sentimens en une tendre amitié : noble changement qu’il appartient à bien peu de femmes de produire, et qui demande un mélange exquis de parfaite honnêteté et de bonté affectueuse[1].

Mais si Louis XIII eut tant d’humeur contre M. de Liancour pour avoir adressé à Mme de Hautefort quelques paroles, il entra dans une bien autre colère, lorsqu’il apprit, à peu près vers le même temps, qu’il avait auprès de l’aimable dame d’atours un rival bien plus redoutable

  1. Vie manuscrite.