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cœur de Louis XIII son amour pour Mme de Hautefort, ou plutôt elle devint un autre amour qui, comme le premier, avait ses vivacités, ses jalousies, ses orages. Le roi demandait à Cinq-Mars de n’aimer que lui ; celui-ci, poussé par sa propre ambition et par Richelieu, demandait à son tour au roi de ne pas partager ses affections, et il se plaignait de l’empire qu’exerçait encore sur lui Mme de Hautefort[1]. Dans les commencemens, il suffisait d’une soirée que le roi venait passer chez la reine pour déjouer toutes ces manœuvres, et rendre le cœur de Louis à sa première et irrésistible maîtresse ; mais il n’en était point ainsi dans les voyages : là, seul entre son redouté ministre et son nouvel ami, le roi était bien autrement facile aux impressions qu’on lui voulait donner, et c’est dans un de ces voyages que les yeux de la belle dame n’étant plus là pour plaider sa cause, Richelieu l’accusa d’avoir la main dans les intrigues de Monsieur, de troubler et de diviser la cour et de faire obstacle au gouvernement par l’absolu crédit qu’on lui supposait sur le roi ; il fit entendre qu’il était fort inutile d’avoir exilé Mme de Chevreuse pour garder une personne tout aussi dangereuse qu’elle. Louis XIII résista longtemps ; pour l’emporter, le cardinal fut obligé de lui donner à choisir entre Mme de Hautefort et lui, et de déclarer qu’il aimait mieux se retirer que de se consumer dans des luttes obscures, où l’appui du roi lui manquait. Cette menace épouvanta Louis XIII ; Richelieu, le voyant ébranlé, pour le décider, lui dit qu’il ne s’agissait pas d’éloigner à jamais Mme de Hautefort, mais seulement pour une quinzaine de jours, afin qu’on vît que sa faveur n’était pas aussi grande qu’on le croyait. Le roi finit par céder en insistant bien sur cette condition que ce serait seulement pour quinze jours ; le cardinal l’assura qu’il n’en demandait pas davantage, mais, redoutant l’ascendant accoutumé de Mme de Hautefort, il fit promettre au roi de ne pas la voir. À peine le marché conclu, Richelieu se hâta de l’exécuter ; il envoya, de la part du roi, à l’ancienne favorite, l’ordre de se retirer pour quelque temps, et aux gardes celui de ne la point laisser entrer chez le roi. Quand Mme de Hautefort reçut le commandement qui lui était apporté, elle eut de la peine à y croire. Elle se rappelait que, dans plusieurs de ses querelles avec son royal amant, souvent elle lui avait dit que de l’humeur dont elle le connaissait, elle s’attendait à être un jour ou l’autre chassée de la cour par la jalousie du cardinal, et que Louis XIII lui avait toujours répondu que cela ne serait jamais, et que, reçût-elle un pareil ordre, il la conjurait de ne pas y ajouter foi et de ne croire qu’à ce qu’il lui dirait lui-même. Elle voulut donc entendre de la bouche même du

  1. Mémoires de Monglat, collect. Petitot, t. XLIX, p. 238, etc.