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visage, cache ses blonds cheveux sous une grande coiffe, et de grand matin, quand personne n’est encore éveillé au Louvre, elle en sort à la dérobée, prend un fiacre et se fait conduire à la Bastille. Elle savait qu’il y avait là un prisonnier qui déjà une fois avait joué sa tête pour la reine, déployé dans les fers une constance magnanime, et venait à peine de descendre de l’échafaud, le chevalier de Jars. Il commençait un peu à respirer de cette terrible épreuve, on lui laissait quelque liberté, et il pouvait recevoir quelques personnes. La noble fille, jugeant du chevalier par elle-même, crut qu’elle pouvait lui demander de jouer sa tête une seconde fois. Elle se donna pour la sœur de son valet de chambre, qui venait lui apprendre que cet homme était à la mort, et l’entretenir de sa part de choses pressantes. Le chevalier de Jars, qui savait son domestique en bonne santé, répugnait à se déranger pour une telle visite, et l’altière Marie de Hautefort dut attendre quelque temps dans le corps de garde qui était à la porte de la Bastille, exposée aux regards et aux plaisanteries de tous ceux qui étaient là, et qui, à son costume, la prenaient pour une demoiselle très équivoque. Elle supporta tout en silence, appliquant bien ses mains sur sa coiffe pour qu’on n’aperçût pas sa figure et ses yeux. Enfin le chevalier de Jars se décida à venir. Ne la reconnaissant pas d’abord, il allait la traiter assez mal, lorsque, le tirant à part et entrant avec lui dans la cour, pour toute réponse à ses propos, elle leva sa coiffe, et lui montra cet adorable visage qu’on ne pouvait oublier quand on l’avait vu une fois : « Ah ! madame ! est-ce vous ? » s’écria le chevalier. Elle le fit taire, et lui expliqua en peu de mots ce que la reine lui demandait. Il s’agissait de faire parvenir à La Porte une lettre cachetée où on lui marquait jusqu’où il pouvait et devait aller dans ses déclarations. Elle remit cette lettre au chevalier en lui disant : « Voilà, monsieur, ce que la reine m’a donné pour vous ; il faut employer votre adresse et votre crédit dans ce lieu-ci pour faire arriver cette lettre jusqu’à ce prisonnier. Je vous demande beaucoup, mais j’ai compté que vous ne m’abandonneriez pas dans le dessein que j’ai de tirer la reine de l’extrême péril où elle est. » Le chevalier, tout intrépide qu’il était, fut bien étonné de voir qu’il était question de hasarder de nouveau sa vie. Il balança, il songea longtemps. Mlle de Hautefort, le voyant chanceler, lui dit : « Eh quoi ! vous balancez, et vous voyez ce que je hasarde ! car, si je viens à être découverte, que dira-t-on de moi ? » — « Eh bien ! lui répondit le chevalier, il faut donc faire ce