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aveux de la reine, et aussi qu’il avouât tout ce qu’elle avait avoué, pour donner à leurs déclarations communes une parfaite vraisemblance. La Porte intimidé pouvait en dire trop, ou sa constance à tout nier pouvait inspirer des ombrages ; la reine craignait tout ensemble son énergie et sa faiblesse. Un concert secret était nécessaire, mais comment l’obtenir ? Comment arriver jusqu’à La Porte, enseveli dans un cachot de la Bastille ? Comment même prévenir Mme de Chevreuse, ignorante de ce qui se passait, et qui pouvait à tout moment être arrêtée ? C’est alors, si on en croit La Rochefoucauld, que la reine, dans les angoisses de sa première terreur, se croyant menacée d’être répudiée, déchue de tout droit, enfermée dans quelque couvent ou même dans le château du Havre, qui était à Richelieu, lui aurait proposé de l’enlever, elle et Mlle de Hautefort, et de les conduire à Bruxelles, proposition trop extravagante pour avoir été faite sérieusement, et que La Rochefoucauld ne rapporte sans doute que pour peindre le danger du moment et aussi pour relever son importance. C’eût été jouer précisément le jeu du cardinal, comme l’avait fait Marie de Médicis ; il fallait rester, tenir tête au péril, et le conjurer à force d’adresse et de courage.

Dans cette grave conjoncture, Marie de Hautefort entreprit de sauver sa maîtresse ou de se perdre avec elle. Déjà elle lui avait sacrifié la faveur du roi, celle de Richelieu, son avenir, elle qui n’avait rien que sa beauté et son esprit, et qui aimait naturellement la magnificence et l’éclat ; elle fit plus cette fois, elle risqua pour elle quelque chose qui lui était mille fois plus cher que la fortune et la vie, elle risqua sa réputation ; elle rejeta cet instinct de pudeur et de retenue qui faisait son charme et sa gloire, qui jusque-là avait fermé son oreille à tout propos flatteur, et ne lui avait pas même permis d’écrire, sous quelque prétexte que ce fût, le moindre billet à aucun homme[1], et la superbe créature se condamna au rôle le plus opposé à tous ses goûts et à toutes ses habitudes. D’abord elle persuada à un gentilhomme de ses parens, M. de Montalais, d’aller à Tours dire à Mme de Chevreuse où les choses en étaient, de ne pas remuer, tout en prenant ses précautions, et qu’on l’avertirait de fuir ou de rester, en lui adressant des Heures reliées en rouge ou en vert, selon le parti qu’il faudrait prendre. Puis elle-même, elle se déguise en grisette[2], barbouille son beau

  1. Vie manuscrite de Mme de Hautefort, communiquée par le marquis d’Estourmel. Cette vie contient des lettres et des passages omis dans la notice imprimée en 1799, in-4o, par Mme de Montmorency, née de Luynes, et réimprimée en 1807, in-12, par le père Adry, de l’Oratoire.
  2. C’est le mot même qu’emploie deux fois la Vie imprimée. Nous l’avons fidèlement suivie dans ce récit, dont les traits essentiels sont communs à la vie imprimée, à la vie manuscrite et aux Mémoires de La Porte ; mais, dans La Porte et dans la vie manuscrite, Mlle de Hautefort partagerait l’honneur de son dévouement avec Mlle de Villarceaux, nièce de M. de Châteauneuf, amie intime du chevalier de Jars, et elle se serait travestie en soubrette de cette dame.