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La modestie aussi bien que la beauté de Mlle de Hautefort le touchèrent ; peu la peu il ne put se passer du plaisir de la voir et de s’entretenir avec elle, et lorsqu’à son retour de Lyon, après la fameuse journée des dupes, l’intérêt de l’état et sa fidélité à Richelieu le forcèrent d’éloigner sa mère, il lui ôta la jeune Marie et la donna à la reine Anne, en la priant de l’aimer et de la bien traiter pour l’amour de lui. En même temps il fit Mme de La Flotte Hauterive dame d’atours à la place de Mme du Fargis, qui venait d’être exilée[1]. Anne d’Autriche reçut d’abord assez mal le présent qu’on lui faisait. Elle tenait à Mme du Fargis, qui, comme elle, était du parti de la reine-mère, de l’Espagne et des mécontens, et elle regarda sa nouvelle fille d’honneur, non-seulement comme une rivale auprès du roi, mais comme une surveillante et une ennemie. Elle reconnut bientôt à quel point elle s’était trompée. Le trait particulier du caractère de Mlle de Hautefort, par-dessus toutes ses autres qualités, le fond même de son âme, était une fierté généreuse, à moitié chevaleresque, à moitié chrétienne, qui la poussait du côté des opprimés et des faibles. La toute-puissance n’avait aucune séduction pour elle, et la seule apparence de la sénilité la révoltait. Dans cette belle enfant était cachée une héroïne qui parut bien vite dès que les occasions se présentèrent. Voyant sa maîtresse persécutée et malheureuse, par cela seul elle se sentit attirée vers elle, et par goût comme par honneur elle résolut de la bien servir. Peu à peu sa loyauté, sa parfaite candeur, son esprit et ses grâces charmèrent la reine presque autant que le roi, et la favorite de Louis XIII devint aussi celle d’Anne d’Autriche.

La première galanterie déclarée du roi envers Mlle de Hautefort fut à un sermon où la reine était avec toute la cour. Les filles d’honneur étaient, selon l’usage du temps, assises par terre. Le roi prit le carreau de velours sur lequel il était à genoux, et l’envoya à Mlle de Hautefort pour qu’elle se pût commodément asseoir. Elle, toute surprise, rougit, et sa rougeur augmenta sa beauté. Ayant levé les yeux, elle vit ceux de toute la cour arrêtés sur elle. Elle reçut ce carreau d’un air si modeste, si respectueux et si grand, qu’il n’y eut personne qui ne l’admirât. La reine lui ayant fait signe de le prendre, elle le mit auprès d’elle sans vouloir s’en servir. Il n’en fallut pas davantage pour lui attirer encore plus de considération qu’auparavant. La reine fut la première à la rassurer ; elle voyait tant d’estime du côté du roi et tant de vertu du côté de Mlle de Hautefort, qu’elle devint leur confidente.

  1. Sur Mlle du Fargis, voyez, dans le Journal de M. le cardinal de Richelieu, édition de 1649, page 93, la Copie des lettres de madame du Fargis, qui ont donné lieu à sa condamnation.