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MADAME
DE HAUTEFORT


Voici maintenant une toute autre personne, qui va nous ramener parmi les mêmes événemens, mais qui y portera un bien différent caractère. C’est encore une ennemie, ce n’est plus une rivale de Richelieu et de Mazarin. La noble femme dont nous allons retracer la vie n’appartient point à l’histoire politique ; elle n’est point de la famille des hommes d’état ; elle n’a point disputé aux deux grands cardinaux leur pouvoir et le gouvernement de la France ; elle a refusé seulement de leur livrer son âme, de trahir pour eux ses amis et sa cause, cette cause qui lui semblait celle de la religion et de la vertu. Son grand cœur, qu’animait une flamme héroïque et que servaient une merveilleuse beauté et un esprit adorable, toujours contenu par la dignité et la pudeur, a paru surtout dans ses sacrifices. Après avoir été la favorite d’un roi, l’amie d’une reine, l’idole de la cour la plus brillante de l’univers, dès que le devoir a parlé, elle a été au-devant de la disgrâce, elle s’est retirée du monde, elle a caché et comme enseveli sous les voiles et dans l’ombre de la vertu les dons les plus rares que Dieu ait jamais départis à une créature humaine. Elle n’a point laissé de nom dans l’histoire, et nous qui entreprenons de la disputer à l’oubli, si nous la mettons à côté de Mme de Chevreuse, ce n’est pas un parallèle, c’est bien plutôt un contraste que nous voulons établir, pour faire paraître sous ses aspects les plus divers la grandeur de la femme au XVIIe siècle, comme aussi, nous l’avouons, avec le désir et l’incertaine espérance d’intéresser à cette fière et chaste mémoire quelques âmes d’élite çà et là dispersées.