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REVUE. — CHRONIQUE.

portée contre moi. Avant d’exiger de moi un acte de contrition, on me permettra de me défendre.

Je veux croire que M.  Madrazo se trompe de bonne foi, qu’il attribue vraiment à mes paroles le sens qu’il leur donne dans sa lettre. Quelques lecteurs penseront peut-être qu’il abuse de sa qualité d’étranger, et qu’après un séjour en France de plusieurs années, il est au moins étonnant qu’on se méprenne à ce point ; mais, puisque M.  Madrazo m’accuse d’avoir parlé à Paris d’un portrait à peine ébauché qui est demeuré à Madrid dans son atelier, je me vois forcé de commenter et d’expliquer mes paroles. Je lui ai reproché de n’avoir pas tiré parti de ses modèles, et j’ai ajouté : « Je ne veux parler ni du portrait de la reine, ni du portrait de son mari don Francisco, qui n’offrent pas à la peinture d’abondantes ressources. » Que le portrait de la reine soit présent ou absent, peu importe. L’opinion que j’exprime ne s’applique pas à l’œuvre de M.  Madrazo, mais au visage de la reine considéré comme modèle. M.  Madrazo aura beau retourner ces deux lignes en tout sens, il ne réussira jamais à prouver que j’ai parlé d’un portrait sans l’avoir vu. Si j’avais dit : Je ne veux pas ne pas parler du portrait de la reine, il serait en droit de m’accuser, car deux négations valent une affirmation ; mais je me borne à dire : Je ne veux pas parler du portrait de la reine.

Je défie les plus habiles héritiers de Saumaise et de Scaliger de trouver dans cette ligne l’expression d’une opinion quelconque sur le portrait de la reine d’Espagne. Que M.  Madrazo m’accuse de manquer de goût, de le juger avec une extrême sévérité, avec injustice, je ne m’en étonnerai pas. Dès que je n’admire pas sa peinture, je ne dois pas trouver singulier qu’il récuse mon témoignage. Mais quand il se laisse aller jusqu’au reproche de mauvaise foi, j’ai le droit de lui dire : Vous ne m’avez pas compris ou vous feignez de ne pas me comprendre. Ce que vous appliquez au portrait inachevé de la reine Isabelle s’applique dans ma pensée, dans la pensée de tous ceux qui connaissent notre langue, au visage de la reine et non pas au portrait, c’est-à-dire que si j’avais à juger le portrait de la reine, je ne vous reprocherais pas d’avoir fait un ouvrage imparfait sous le rapport de l’élégance et de la beauté. Une lecture attentive suffit pour démontrer que mes paroles ne peuvent s’appliquer ni au portrait de la reine ni au portrait de son mari. Ma défense se réduit au dilemme que voici : ou M.  Madrazo connaît notre langue, et dans ce cas il ne peut m’accuser de mauvaise foi, ou il ne connaît pas notre langue, et dans ce cas son accusation est sans valeur, puisqu’il a négligé de consulter des juges compétens. Qu’il me souhaite un peu plus de goût en souvenir de l’archevêque de Grenade, à la bonne heure ; quant à ma bonne foi, pour tous ceux qui savent le français, elle ne saurait être mise en doute.

GUSTAVE PLANCHE.

Tableaux de l’Histoire de Suisse, par M.  Monnard[1]. — Genève continue son mouvement intellectuel un peu uniforme, mais toujours sérieux et digne d’intérêt. Les esprits originaux y sont rares, et cependant il est plus rare encore qu’un Genevois prenne la plume pour répéter exactement la chose qu’on a dite avant lui. Il a fait généralement, lorsqu’il écrit un

  1. Un volume in-18, Cherbuliez, Genève.