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bat. Mais on sait que la chambre des représentans n’ayant pas, en trente-neuf scrutins, réussi à nommer son président, et par conséquent le congrès n’étant pas constitué à la date des dernières nouvelles, l’envoi du message n’a pu avoir lieu. Nous n’analyserons pas pour le moment les élémens de la situation, tels qu’ils ressortent de ces longs et inutiles efforts pour dégager une majorité dans le sein du congrès ; il suffira de dire que c’est l’apparition du parti ultra-américain et ultra-protestant, connu sous le nom de know-nothing, qui menace l’ascendant du parti démocratique, identifié avec l’administration actuelle. L’abolitionisme et le maintien de l’esclavage ne figurent qu’au second plan dans la mêlée des opinions, quoique la lutte des deux systèmes soit au fond de tout ce qui s’est passé dans le cours des derniers mois, et doive très prochainement reparaître comme le principal élément de la classification des partis. Ce que nous cherchons maintenant dans la situation actuelle, c’est l’influence qu’elle doit exercer dans la politique extérieure du gouvernement des États-Unis. Or, il est permis de le voir sans en éprouver de regrets, le résultat manifeste d’une pareille division dans un pays si mal organisé d’ailleurs pour faire sentir le poids de sa volonté dans les grandes affaires du monde, c’est l’impuissance.

Voilà une expression qui n’est pas habituelle quand on parle des États-Unis ; mais si elle va jusqu’au bout de notre pensée, nous ne croyons cependant pas qu’on puisse la taxer d’exagération, et nous sommes persuadés qu’en Amérique il n’y a pas un homme d’état vraiment digne de ce nom qui ne soit profondément convaincu que le gouvernement fédéral doit éviter avec soin toute occasion de révéler sa faiblesse en poussant trop loin sa prétention de ne compter avec personne. Il faudrait, pour justifier une prétention de ce genre, que la politique des États-Unis fût sincèrement inoffensive, que le peuple américain, satisfait du lot qui lui est échu sur la terre, se contentât de l’exploiter, de le féconder, de l’embellir, sans jeter un œil de convoitise surtout ce qui est à sa portée. Alors en effet on comprendrait et on respecterait l’isolement des États-Unis. Rassuré par leur sagesse, on ne ferait que des vœux pour leur prospérité. Malheureusement on les a vus depuis quelques années passer de la neutralité, relativement aux affaires de l’Europe, à un américanisme agressif qui ne tend à rien moins qu’à se créer une influence sur tout un continent, et à faire de cette prépondérance dans le Nouveau-Monde un moyen d’action contre l’ancien. La bienveillance dont ils étaient l’objet a donc fait place à un sentiment de défiance qui trouvera une certaine satisfaction dans les graves embarras qu’annonce pour cette année à l’administration de M. Pierce l’animosité croissante des partis sur toute l’étendue du territoire fédéral. La grande république, qui se proclamait complaisamment la république modèle, perdra de son prestige quand on verra ses élections ensanglantées aboutir à l’annulation des forces publiques et à la permanence de l’anarchie, quand on verra l’activité du pays se consumer en luttes personnelles, le pouvoir exécutif douter de lui-même en présence des troubles qui agitent le Kansas, et l’hospitalité si vantée des États-Unis remise en question par un esprit jaloux qui semble emprunté aux institutions exclusives des anciennes cités grecques.

Les républiques hispano-américaines, à qui l’imitation des États-Unis n’a pas été moins fatale que les intrigues du cabinet de Washington, ouvriront-