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Il est inutile de rien prévoir pour le moment. Il y a pourtant une chose certaine : c’est avec une persistance réelle, quoique lente parfois, que l’Autriche marche dans une route qui la sépare si complètement du gouvernement russe. Que le cabinet de Vienne se borne à rappeler son ambassadeur, si la mission du comte Esterhazy échoue définitivement, ou que ce rappel devienne le signal immédiat d’une série d’actes plus comminatoires, la rupture est consommée et ne peut que s’aggraver. Entre la Russie et l’Autriche, il s’élèvera toujours ce fait d’une demande de cession de territoire transmise et appuyée par l’empereur François-Joseph, d’un concours moral, diplomatique, prêté à toutes les mesures ayant pour but de rabaisser les prétentions de la politique des tsars. On a dit que l’Autriche ne pardonnerait jamais à la Russie le secours qu’elle en avait reçu en Hongrie ; pense-t-on que la Russie pardonne jamais au cabinet de Vienne le secours que celui-ci a prêté à ses adversaires ? Et dès lors ne serait-il pas plus simple, ne serait-il pas d’une meilleure politique pour l’Autriche de joindre franchement ses forces à celles de l’Occident pour rendre la guerre plus décisive et plus courte ?

Il en est de même de la Suède, dont l’intervention possible n’est plus un doute aujourd’hui, et qui vient d’attester son adhésion sincère et intelligente à la cause occidentale par le traité récemment signé avec la France et l’Angleterre. La curiosité européenne a cherché pendant bien des jours le mot de cette énigmatique mission que le général Canrobert est allé remplir à Stockholm et à Copenhague. On a la tout au moins un des actes qui s’y rattachent. Il y a dans le traité du 21 novembre deux parties assez distinctes, quoique intimement liées, — une partie matérielle et une partie morale. — Au point de vue matériel et strictement contractuel, la Suède s’engage vis-à-vis de la France et de l’Angleterre à ne céder à la Russie, à n’échanger avec elle, à ne lui permettre d’occuper aucune partie des territoires appartenant aux couronnes de Suède et de Norvège ; elle s’oblige à ne concéder aucun droit de pêche, de pâturage, ou de toute autre nature, et à repousser toute prétention que pourrait élever le cabinet de Saint-Pétersbourg. De leur côté, la France et l’Angleterre s’engagent à prêter à la Suède le secours de leurs forces de terre et de mer pour résister aux prétentions ou aux agressions de la Russie. On se souvient peut-être que nous indiquions récemment le Finnmark comme un des points où convergeait l’ambition russe, pour se créer une issue dans la Mer du Nord. C’est justement sur ce point que portaient les négociations, et c’est la ce que le traité du 21 novembre a pour but de régler de façon à mettre un terme aux envahissemens croissans de la Russie. Pris en lui-même, ce traité semble n’avoir point de rapport avec la guerre actuelle. Il n’implique ni une coopération militaire ni même une adhésion du cabinet de Stockholm aux actes diplomatiques accomplis par les puissances occidentales. Si on en observe l’esprit, il est évidemment le signe d’une révolution complète dans les relations du Nord. Qui peut penser que la Suède eût signé une transaction de ce genre, si elle ne se liait pas à toute une politique nouvelle ? En scellant une alliance pour opposer une barrière aux prétentions et aux agressions de la Russie, le roi Oscar n’acquiesçait-il pas implicitement à tout ce qui se fait sur d’autres points dans la même pensée ? Il y a mieux, si la Suède n’était point décidée à mêler prochainement ses armes aux nôtres, comment aurait-on publié ce