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une certaine cession de territoire de la part de la Russie. La première de ces conditions avait été primitivement proposée par la France aux conférences de Vienne : elle ne fut point admise par la Russie ; c’est l’Allemagne qui en a depuis suggéré l’adoption. Quant à la seconde, elle était en germe dans la pensée de placer la liberté de la navigation du Danube sous la garantie d’une sorte de syndicat européen. Ce n’est point d’aujourd’hui que la France, l’Autriche et l’Angleterre ont mis leurs efforts à retrouver un terrain commun d’action. Des négociations commençaient entre elles dès la fin d’octobre. L’heure était favorable ; on était encore sous l’impression de nos grands succès. En Allemagne, il se dessinait un mouvement marqué d’opinion vers les puissances occidentales. Les états germaniques pressaient la Russie de consentir enfin à rendre la paix possible par ses concessions. Si on eût pu saisir cet instant pour mettre le cabinet de Pétersbourg en demeure de se prononcer sur des propositions nettes et décisives irrévocablement arrêtées entre les alliés du 2 décembre ; peut-être la Russie eût-elle cédé devant une pression universelle, peut-être encore les mêmes propositions eussent-elles conservé plus de chances de succès, si elles avaient pu arriver avant que le cabinet du tsar fût informé des délibérations d’où elles allaient sortir ; mais d’une part le secret de ces négociations n’a pu être si bien gardé, que la Russie n’en eût tout au moins une connaissance générale, de l’autre il a fallu quelque temps à l’Autriche, à la France et à l’Angleterre pour se mettre d’accord sur une formule précise et satisfaisante pour tous les intérêts.

Qu’en est-il résulté ? La Russie s’est hâtée de mettre à profit ces circonstances. Tant qu’il a ignoré les négociations nouvelles nouées entre l’Autriche, la France et l’Angleterre, le cabinet de Pétersbourg a refusé aux désirs de l’Allemagne toute concession. Le jour où il a su que l’Autriche se préparait à se rattacher par un lien nouveau aux puissances occidentales, il n’a plus eu qu’une pensée, celle d’assouplir sa politique et son langage aux nécessités de sa position. C’est alors que la Russie a pris une de ces résolutions qu’elle sait toujours prendre à l’heure voulue. Par sa diplomatie répandue dans les cours germaniques, elle a fait savoir qu’elle était touchée des vœux de l’Allemagne, et qu’elle se décidait à faire un grand sacrifice dans l’intérêt de la paix. En un mot, la Russie s’offrait à accepter le principe de la neutralisation de la Mer-Noire, sans en discuter l’application pour le moment, — et en se déclarant prête à ce sacrifice, elle ajoutait que désormais du moins, si la paix n’était point conclue, l’Allemagne ne pourrait plus lui imputer avec justice la continuation de la guerre. Tel est le sens du travail de la diplomatie du tsar au-delà du Rhin depuis un mois. Cela fait, la Russie a attendu les propositions qu’elle savait sur le point d’être arrêtées, et qu’elle a aujourd’hui à examiner.

Il est facile de le voir, c’est là toujours cette comédie d’évasions et de subterfuges qui consiste à saisir l’heure propice de concessions plus apparentes que réelles, à désintéresser avant tout l’Allemagne, et à se faire de l’immobilité germanique un moyen de résistance aux plus légitimes exigences de l’Occident. La tactique qu’emploie aujourd’hui la Russie est celle qu’elle a mise en usage à tous les instans pour détourner les coups qui la menaçaient. Réussira-t-elle encore une fois ? Il n’est point impossible que quel-